Chapitre 9 - Mystères et révélations
La ville d’Azuri baignait dans un calme trompeur. Le soleil caressait les toits des maisons de son éclat doré, et les ruelles pavées scintillaient après une fine pluie tombée à l’aube. Les volets des boutiques s’ouvraient lentement, et les habitants vaquaient à leurs occupations habituelles, affichant des sourires apaisés. Les enfants jouaient dans les rues, leurs rires éclatant par vagues joyeuses, et les touristes flânaient le long du port, captivés par le paysage pittoresque de la ville. Tout semblait paisible, presque parfait.
Pourtant, sous cette sérénité apparente, une ombre pesante rôdait, insaisissable mais indéniable. Quelque chose d'inquiétant s'agitait dans l'air, une tension imperceptible qui ne pouvait être expliquée mais que beaucoup ressentaient au fond d’eux. Les nuits, autrefois calmes, étaient désormais ponctuées de bruits étranges provenant des abords de la forêt Émeraude. Le vent semblait porter des murmures, des voix basses qui glissaient entre les arbres comme des secrets oubliés. Des ombres fugaces dansaient à la lisière des bois, s’évanouissant dès qu’un regard se posait sur elles.
Les événements récents n’avaient fait qu’ajouter à l’inquiétude ambiante. Les visions inexplicables de Vincent, ces symboles énigmatiques gravés dans la pierre et la chair, et surtout, la découverte du tétraèdre mystérieux, contribuaient à créer une atmosphère de mystère pesant. Vincent et Kristen, bien qu’habitués à l’étrange, sentaient qu’ils étaient sur le point de découvrir quelque chose qui dépassait tout ce qu’ils avaient imaginé. Cette sensation d’être surveillés ou manipulés les accompagnait à chaque pas.
Depuis quelques jours, des phénomènes inexplicables s’étaient multipliés. Aux abords de la forêt Émeraude, des témoins avaient signalé des lumières vacillantes entre les arbres, comme des lanternes suspendues par des mains invisibles. Les animaux domestiques, habituellement paisibles, étaient devenus nerveux, aboyant ou miaulant sans raison apparente. Certains fuyaient leurs foyers, se terrant dans des endroits improbables. Même les oiseaux, qui survolaient habituellement les bois en chantant, semblaient désormais éviter la zone, leurs vols s’interrompant brusquement avant de rebrousser chemin.
Des habitants rapportaient avoir vu des ombres mouvantes, presque palpables, glissant entre les arbres ou dans les ruelles désertes. Ces formes indistinctes semblaient apparaître et disparaître, insaisissables. Kristen, après avoir entendu ces témoignages lors d’une conversation au lycée, en avait immédiatement parlé à Vincent. « Ces ombres… ça pourrait être lié à ce qu’on a découvert, non ? » avait-elle murmuré, les yeux brillants d’inquiétude. Vincent acquiesça, le visage fermé. Les pièces du puzzle s’imbriquaient, mais le tableau d’ensemble restait flou.
Kristen, qui avait entendu ces récits lors d’une discussion au lycée, s’était tournée vers Vincent, le regard inquiet. « Tu crois que ça peut être lié à… tout ça ? » avait-elle demandé d’une voix basse, jetant un coup d’œil autour d’elle comme si les murs pouvaient écouter. Vincent, bien que troublé, hocha la tête. Chaque élément semblait converger vers un même point, un centre invisible de chaos qui ne cessait de croître.
Malgré l’apparente routine de la ville, Azuri était sur le fil du rasoir, oscillant entre la normalité et quelque chose de bien plus sombre, une réalité qui menaçait de briser l’équilibre fragile de ses habitants. Vincent sentait cette tension, comme un tambour sourd résonnant en lui, rappelant que le calme qui les entourait n’était qu’une façade prête à s’effondrer.
Un après-midi, Vincent et Kristen s’aventurèrent aux confins de la forêt Émeraude. Les arbres semblaient plus denses et menaçants dans cette partie reculée, leurs ombres allongées par la lumière tamisée. Leurs pas crissaient sur un tapis de feuilles mortes, et le vent murmurait entre les branches comme une mise en garde à peine voilée. L’atmosphère était lourde, imprégnée d’un mystère oppressant, et une tension presque palpable semblait vibrer dans l’air autour d’eux.
Vincent marchait devant, attiré par une sensation qu’il ne pouvait expliquer. Un instinct profond, viscéral, le guidait, le poussant à aller plus loin malgré le malaise grandissant qui s’élevait dans son esprit. Kristen, un peu en retrait, scrutait les environs avec méfiance, tenant son téléphone serré dans sa main comme une maigre assurance face à l’inconnu.
Ils finirent par arriver dans une clairière inhabituellement calme, où le silence était assourdissant. Pas un oiseau ne chantait, pas une feuille ne bougeait, et l’air lui-même semblait figé. Pourtant, quelque chose clochait. Kristen fronça les sourcils, examinant les alentours. « Tu sens ça ? » murmura-t-elle, la voix empreinte d’un mélange d’inquiétude et de fascination. Vincent hocha la tête, incapable de mettre des mots sur la sensation étrange qui lui oppressait la poitrine.
C’est alors qu’ils remarquèrent une particularité frappante. L’air devant eux semblait vibrer légèrement, comme une onde qui déformait subtilement tout ce qu’elle touchait. À première vue, cela ressemblait à une illusion d’optique, une distorsion de chaleur comme celle qui émane du bitume en été. Mais en s’approchant, Kristen réalisa qu’il ne s’agissait pas d’un simple effet visuel. C’était comme si la réalité elle-même était altérée, un voile translucide séparant leur monde de quelque chose d’inconnu.
Vincent porta une main à sa poche de jean, là où le tétraèdre, irradiait d’une énergie étrange. Il s’arrêta net, fixant la distorsion avec une intensité grandissante. La chaleur n’était pas douloureuse, mais elle était accablante, comme si elle synchronisait son corps avec la vibration étrange devant lui. Kristen, de son côté, ressentit un frisson glacé parcourir son échine. « C’est quoi ça, Vincent ? » souffla-t-elle, sa voix brisée par la peur.
C’est alors qu’ils virent la chose. Une masse noire, informe et mouvante, commença à émerger lentement de la brèche. Elle n’était pas solide, mais pas totalement intangible non plus, se déplaçant comme une ombre vivante qui cherchait à s’ancrer dans leur réalité. La forme ondulait, ses contours se modifiant constamment, et une énergie sombre et malsaine s’en dégageait, saturant l’air autour d’eux.
Kristen porta une main tremblante à sa bouche, incapable de détourner les yeux. L’énergie émanant de cette masse était suffocante, pesant sur leurs épaules comme un poids invisible. « On ne devrait pas rester ici », murmura-t-elle, sa voix presque inaudible, teintée d’une peur qu’elle peinait à contenir. Mais Vincent ne répondit pas. Il restait figé, ses yeux rivés sur la brèche, comme hypnotisé par la scène qui se déroulait devant eux.
Le tétraèdre brillait faiblement, pulsant au rythme de la vibration de l’air. Une lumière chaude et dorée émanait de sa peau, contraste saisissant avec l’obscurité oppressante de la masse noire. C’est alors qu’il entendit quelque chose. Un écho lointain, diffus, mais indéniable. Une voix, ou peut-être un cri, résonnait dans son esprit, entre l’appel et l’avertissement. Il porta une main à sa tête, troublé, mais incapable de bouger.
Kristen posa une main ferme sur son bras, tentant de briser son état de transe. « Vincent, on doit partir. Maintenant. » Mais il restait immobile, comme absorbé par cette énergie étrangère qui semblait communiquer directement avec lui. Leurs regards se croisèrent brièvement, et Kristen comprit qu’il vivait quelque chose qu’elle ne pouvait pas partager. Pourtant, elle n’était pas prête à le laisser là.
L’énergie dans l’air s’intensifia, comme si la masse noire se nourrissait de leur présence. Les feuilles mortes à leurs pieds commencèrent à tourbillonner légèrement, et un bruit sourd, semblable à un grondement lointain, emplissait l’espace. Kristen tira plus fort sur le bras de Vincent, brisant finalement son immobilité.
« Vincent, je t’en prie, bouge ! » cria-t-elle, sa voix retrouvant sa force.
Vincent cligna des yeux, sortant de sa torpeur. « Oui... oui, tu as raison. Partons. » Ils reculèrent lentement, leurs regards toujours fixés sur la masse mouvante. Alors qu’ils s’éloignaient, Vincent sentit la marque sur son torse s’apaiser, mais une étrange sensation restait ancrée en lui. Il savait que ce n’était que le début.
Pendant ce temps, un homme énigmatique refit surface dans les rues d’Azuri, son allure austère et ses intentions voilées ajoutant une couche d’inquiétude à une ville déjà en proie à des phénomènes inexplicables. Vêtu de son long manteau noir et arborant son regard perçant aux teintes métalliques, il semblait glisser dans les ombres, insaisissable mais toujours présent. Cet homme, qui s’était déjà fait remarquer en interrogeant Rosalina à la station-service, semblait posséder une connaissance profonde des mystères qui entouraient Vincent et Kristen.
Sa présence se faisait de plus en plus oppressante. Il apparaissait toujours à des moments où Vincent et Kristen s’aventuraient dans des lieux inhabituels ou isolés, comme s’il anticipait chacun de leurs mouvements. Observant à distance, il ne s’approchait jamais trop, mais son regard perçant donnait l’impression qu’il voyait au-delà des apparences, comme s’il pouvait sonder leurs pensées.
Ses motivations restaient un mystère, enveloppées d’une aura d’ambiguïté qui laissait autant de place à la peur qu’à la curiosité. Pourquoi cherchait-il l’Élu ? Et surtout, pourquoi semblait-il si sûr que Vincent était celui qu’il traquait ? Sa détermination ne faisait qu’ajouter à la tension, rendant chaque sortie de Vincent et Kristen plus éprouvante.
Une nuit, alors que les deux amis exploraient une nouvelle zone près de la forêt Émeraude, l’homme réapparut. Sa silhouette mince et droite se détachait à peine dans l’obscurité, mais ses yeux… ses yeux brillaient d’un éclat inquiétant, presque surnaturel, captant la lumière de la lune comme deux éclats d’acier. Il se tenait en retrait, à la lisière des arbres, les observant silencieusement alors qu’ils avançaient prudemment dans les bois.
Kristen, toujours alerte, fut la première à ressentir cette présence pesante. Elle s’arrêta brusquement, faisant signe à Vincent de se poser un moment. « Tu as entendu ça ? » murmura-t-elle, son regard scrutant l’obscurité. Vincent se retourna, sondant les ténèbres, mais il ne perçut qu’une ombre fuyante entre les troncs d’arbres. Pourtant, il sentit son cœur accélérer, une sueur froide glissant le long de sa nuque. L’air semblait chargé d’une tension électrique, comme si un prédateur invisible les entourait.
L’homme resta immobile, se dissimulant à moitié derrière un arbre, mais ses yeux ne quittaient jamais Vincent. Son expression était indéchiffrable, oscillant entre une curiosité intense et une détermination presque obsédante. Il ne bougea pas, ne prononça pas un mot, mais sa simple présence suffisait à transformer l’atmosphère paisible de la forêt en une scène oppressante.
« On s’en va?» demanda Kristen, sa voix trahissant une nervosité qu’elle ne montrait que rarement. Vincent, bien qu’inquiet, ne pouvait s’empêcher de ressentir une étrange attraction vers cet homme bien qu’il n’était pas sûr que quelqu’un les suivait. De plus il devait absolument rentrer chez lui, il avait pris l’habitude de se servir de son double lors de ces moments où il devait s’absenter, mais il savait qu’il ne fallait pas en abuser car celui-ci pouvait “bugger” si on le sollicitait trop. En revanche, la mère de Kristen n’était pas trop regardante sur les sorties de sa fille. L’éducation des deux jeunes était vraiment à deux opposés, deux extrêmes en fait.
Alors qu’ils rebroussaient chemin, le regard de l’homme les suivait, perçant à travers l’obscurité comme deux lames glaciales. Une fois qu’ils disparurent de sa vue, il sortit de l’ombre, s’avançant légèrement pour scruter l’endroit où ils se tenaient quelques instants plus tôt. Il se pencha, examinant les traces de leurs pas, ses doigts effleurant le sol comme s’il cherchait à ressentir une énergie invisible.
« L’Élu… » murmura-t-il pour lui-même, un sourire imperceptible se dessinant sur ses lèvres pâles. Puis, sans un bruit, il se fondit à nouveau dans les ombres, laissant derrière lui une sensation de malaise qui continuait de flotter dans l’air, comme un présage silencieux des événements à venir.
L’ambiance étrange qui régnait sur Azuri ces derniers jours semblait flotter comme un voile invisible, mais elle n’altérait pas vraiment le rythme de vie des habitants. Cette petite ville côtière avait toujours été marquée par des phénomènes singuliers, presque intégrés dans son quotidien. Les habitants, bien que parfois intrigués, avaient appris à ignorer ces étrangetés, les reléguant à la catégorie des bizarreries locales. Pourtant, pour Vincent, chaque détail inhabituel semblait désormais chargé de sens, comme un écho lointain des mystères qui tournaient autour de lui.
C’était la mi-novembre, et l’approche des examens de fin de semestre ajoutait une pression supplémentaire. Les journées étaient courtes, et les premières brises froides annonçaient l’hiver. Au lycée, les élèves étaient absorbés par leurs révisions ou feignaient de l’être, et les salles de classe vibraient d’une tension diffuse. Vincent, lui, s’efforçait de se concentrer sur son commentaire de texte, les phrases de l’ouvrage Paul et Virginie dansant sur sa copie comme des mots flous. Le travail scolaire, bien que monotone, lui offrait une distraction bienvenue, un moyen de s’éloigner momentanément de ce destin surnaturel qui pesait sur ses épaules.
Il leva les yeux un instant, cherchant à se recentrer, lorsqu’il remarqua Alicia, assise à côté de lui. Contrairement à son habitude, elle semblait ailleurs. Ses yeux, habituellement pétillants de vivacité, fixaient un point invisible devant elle, et ses doigts jouaient distraitement avec le coin de sa feuille restée désespérément blanche. Cela faisait bien quarante-cinq minutes qu’elle n’avait pas bougé.
« Hey, Alicia, » murmura-t-il d’une voix aussi discrète que possible, essayant de ne pas attirer l’attention de Madame Fibbs, qui surveillait la classe. Aucune réaction. Alicia ne bougea pas d’un millimètre, comme figée dans une bulle imperméable au bruit et aux sollicitations extérieures.
Vincent fronça légèrement les sourcils, partagé entre l’inquiétude et la curiosité. Il tenta à nouveau de l’interpeller, cette fois en tapotant doucement sur le bord de sa table. « Alicia, il reste plus qu’une heure et quart. Ça va ? »
Comme si sa voix avait brisé un sort, Alicia tourna lentement la tête vers lui, les yeux légèrement écarquillés. Pendant un instant, elle sembla déboussolée, comme si elle revenait à elle après un long rêve. « Ah, oui… Merci, Vin. Je… j’étais en train de réfléchir… » Sa voix, douce mais un peu distante, trahissait un malaise qu’elle semblait vouloir dissimuler.
« Chut ! » fit Madame Fibbs en passant près de leurs tables, son regard perçant jetant un froid sur leur échange. « Chacun le nez sur sa copie. »
Vincent retourna à son commentaire, non sans jeter un dernier coup d’œil vers Alicia. Il remarqua une lueur d’inquiétude dans ses yeux, quelque chose qui ne lui ressemblait pas. Qu’est-ce qui pouvait bien la troubler à ce point ? Malgré les instructions strictes de leur professeure, Vincent se promit d’en discuter avec elle à la fin du cours. Mais pour l’instant, il s’efforça de remettre son attention sur les lignes du texte devant lui, bien que l’image d’Alicia perdue dans ses pensées continuât de hanter le fond de son esprit.
“Alicia! Alicia!” héla Vincent en marchant rapidement derrière l’adolescente. Vincent accéléra le pas, ses chaussures résonnant légèrement sur le carrelage du couloir. Devant lui, Alicia avançait d’un pas rapide, sa silhouette fine se détachant parmi les élèves qui se dispersaient entre les cours.
Lorsqu’elle se retourna, son visage afficha une expression de surprise mêlée de fatigue.
« Ça va ? » demanda Vincent en la rejoignant, le souffle légèrement court. « Qu’est-ce qui t’est arrivé pendant l’interro tout à l’heure ? Tu semblais ailleurs. »
Alicia hésita une seconde, ses doigts serrant légèrement la lanière de son sac à dos. « Oh, t’inquiète, Vin, c’est rien. Je suis juste crevée en ce moment. Avec les exams, et puis… Nolan aussi, » ajouta-t-elle avec un sourire un peu forcé. « Il est à fond. Il cherche toujours à me faire plaisir, alors on est soit en sortie tous les deux, soit chez lui. Pour lui, les révisions, c’est du gâteau. J’aimerais être aussi brillante. »
Vincent sentit une pointe de désapprobation monter en lui, mais il la dissimula derrière un sourire encourageant. « Tu sais, Alicia, tu es une personne brillante toi aussi. Sûrement bien plus que tu ne le crois. »
Alicia s’arrêta un instant, le regardant avec douceur. Elle posa une main légère sur son bras, un geste simple mais qui fit frissonner Vincent malgré lui. « Tu sais vraiment trouver les mots, Vincent. Merci. Mais ne t’inquiète pas pour moi, promis, je vais me ressaisir. »
Vincent acquiesça, mais intérieurement, il bouillait. Le comportement de Nolan lui semblait de plus en plus égoïste. Certes, il était intelligent et charismatique, mais il lui manquait une véritable intelligence émotionnelle, surtout depuis la soirée d’Halloween où son attitude avait atteint un nouveau sommet de condescendance.
Un peu plus loin, Kristen l’attendait, adossée à un mur près des casiers. Elle lui fit un signe impatient de la main. Vincent lui lança un sourire d’excuse et fit un pas pour la rejoindre, mais il s’arrêta en fouillant dans son sac. Il fronça les sourcils en réalisant qu’il avait oublié son livre en classe. Ce livre, contenait un billet de cinq dollars qu’il avait glissé en guise de marque-page, et qui allait payer leur tournée de café.
« Je reviens, j’ai oublié un truc, » dit-il en levant un doigt vers Kristen avant de rebrousser chemin. Il traversa rapidement les couloirs et poussa la porte de la salle de classe, s’attendant à trouver la pièce vide. Mais à sa grande surprise, Madame Fibbs n’était pas seule.
Un homme se tenait près du bureau de la professeure. Grand et élancé, vêtu d’un costume sombre un peu usé, il avait une présence étrange, presque oppressante. Vincent plissa les yeux, intrigué. L’homme tenait un objet dans ses mains, mais dès qu’il remarqua Vincent, il le rangea précipitamment dans la poche intérieure de sa veste. Malgré la rapidité de son geste, Vincent eut une brève impression de déjà-vu. Cet objet ressemblait étrangement au tétraèdre qu’il possédait.
« Vincent, je peux vous aider ? » demanda Madame Fibbs d’un ton neutre, mais son regard, habituellement bienveillant, semblait scruter le garçon avec une pointe de nervosité.
« Euh… oui, j’ai oublié mon livre, » répondit Vincent en s’efforçant de rester détendu. Il s’approcha du bureau, prenant le livre en question.
« Vincent, » reprit Madame Fibbs, son ton se radoucissant. « Je vous présente Angelo Chinto. Il est en dernière année de Master en éducation, et si tout va bien, il sera notre professeur stagiaire de français pour le second semestre. »
L’homme inclina légèrement la tête. Ses yeux, perçants comme deux lames acérées, se fixèrent sur Vincent avec une intensité déstabilisante. « Enchanté, Vincent. »
« De même, monsieur Chinto, » répondit Vincent en s’efforçant de rester poli, bien que le regard de l’homme lui donne des frissons. « Vous n’aurez pas à vous inquiéter, Elmyra restera votre professeure principale. Je suis simplement là pour l’assister, » ajouta Angelo d’une voix étrangement posée, presque hypnotique.
Vincent afficha un sourire crispé. « Content de vous accueillir dans ce cas. » Il fit un signe de tête poli à Madame Fibbs, récupéra son livre et s’éloigna rapidement. Alors qu’il refermait la porte derrière lui, il sentit un poids invisible peser sur sa poitrine, comme si les yeux d’Angelo Chinto continuaient de le suivre.
Rejoignant Kristen, qui tapotait le sol avec le bout de son pied, Vincent essaya de chasser cette étrange rencontre de son esprit. « Enfin ! T’as trouvé ton billet de café ? » demanda Kristen en croisant les bras. Vincent esquissa un sourire distrait, mais son esprit restait embrouillé par l’image de cet objet familier et le regard troublant de ce nouvel arrivant. Qui était cet homme, et pourquoi semblait-il en savoir autant, peut-être trop, sur ce qui se passait à Azuri ?
Vincent et Kristen s’étaient installés à une table au Lemon, qu’ils fréquentaient souvent pour leurs pauses. Les arômes de café fraîchement moulu et de pâtisseries chaudes flottaient dans l’air, offrant un contraste rassurant avec les tensions de la journée. Le bruit des conversations et des tasses entrechoquées formait une ambiance apaisante, mais Vincent était loin d’être détendu.
« Alors ? » lança Kristen en fixant Vincent par-dessus sa tasse de cappuccino. « Qu’est-ce qui te met dans cet état ? »
Vincent faisait passer entre ses doigts le billet de cinq dollars qu’il avait retrouvé dans son livre. « C’est ce type… Angelo Chinto. »
Kristen fronça les sourcils, prenant une gorgée de son café avant de poser sa tasse. « Le mec dans la classe de Fibbs ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Il t’a dit quelque chose de bizarre ? »
« Non, mais il tenait un objet… » Vincent baissa la voix, se penchant légèrement vers Kristen. « Kristen, c’était presque identique à mon tétraèdre. »
Kristen posa brusquement sa tasse sur la table, éclaboussant un peu de mousse sur ses doigts. « Quoi ?! Tu es sûr ? » Son regard s’intensifia, mélange de surprise et d’inquiétude.
Vincent hocha la tête. « Je n’ai pas pu bien le voir, il l’a rangé dès qu’il m’a vu entrer. Mais… je suis presque certain que c’était ça. Les mêmes facettes dorées, les mêmes gravures étranges. »
Kristen se redressa sur sa chaise, croisant les bras. « Et Fibbs ? Elle a réagi ? »
« Non, elle a juste présenté Angelo comme un futur prof stagiaire. Mais Kristen… » Vincent baissa encore plus la voix. « Il m’a regardé comme s’il savait. Comme s’il savait que j’avais le même objet. »
Kristen se mordit l’intérieur de la joue, réfléchissant intensément. « Ok, donc on a un nouveau gars, qui débarque de nulle part, qui se balade avec un objet quasi identique au tien, et qui te fixe comme si tu étais son projet de fin d’études. C’est quoi son deal, ce type ? »
Vincent haussa les épaules, son visage marqué par l’inquiétude. « Je n’en ai aucune idée, mais je sens qu’il en sait beaucoup plus qu’il ne le montre. Et ce n’est pas juste une coïncidence. »
« Ça pourrait être lié à tout ce qui se passe en ce moment. Les symboles, la brèche… Peut-être que ce Chinto est là pour une raison. Mais est-il là pour nous aider ou pour nous surveiller ? » s’interrogea Kristen, le regard pensif.
Vincent fronça les sourcils, jouant nerveusement avec sa cuillère. « On n’en sait rien. Mais cette histoire d’objet… Ça ressemble trop au tétraèdre pour que ce soit une coïncidence. »
Kristen hocha lentement la tête, les pensées tourbillonnant dans son esprit. « Et si Madame Fibbs était au courant ? Elle semblait si détendue en sa présence. Et puis, son introduction, c’était quoi cette mise en scène ? Si elle est liée à tout ça, ça pourrait expliquer pourquoi elle semble toujours avoir un œil sur toi. Tu te souviens en classe, comment elle t’interpelle toujours au bon moment, comme si elle savait ce que tu faisais ou pensais ? »
Vincent esquissa un sourire crispé. « Oui, et ça devient franchement flippant. Mais comment on pourrait le savoir ? On ne peut pas juste lui demander, et espionner Chinto, c’est déjà assez compliqué. »
Kristen releva les yeux, une lueur déterminée dans le regard. « Alors, on commence par Chinto. Il est nouveau ici, on peut le surveiller, noter ses habitudes. Si on découvre un lien entre lui et Fibbs, on pourra agir. »
« Et s’il travaille vraiment avec cet homme mystérieux qu’on a vu dans la forêt ? » murmura Vincent, un mélange d’excitation et de peur dans la voix.
« Alors, on le saura bientôt, » répondit Kristen. « Mais pour ça, il faut des preuves. Et Madame Fibbs, elle, en sait probablement plus qu’elle ne veut bien l’admettre. »
Le silence s’installa un instant entre eux, le bruit ambiant du café semblant s’estomper alors qu’ils réfléchissaient à leur prochain mouvement. Vincent brisa le silence : « Ça veut dire qu’on va devoir garder nos distances tout en étant plus attentifs. »
Kristen acquiesça, un sourire complice se dessinant sur son visage. « Exactement. On devient des détectives, mais discrets. Et ce Chinto… » Elle fit une pause, son sourire s’élargissant. « Il ne se rendra même pas compte qu’il est surveillé. »
Vincent sourit à son tour, rassuré par la détermination de son amie. Ils savaient que les réponses qu’ils cherchaient ne viendraient pas facilement. Entre le tétraèdre, les symboles, la brèche et maintenant l’arrivée de Chinto, le mystère s’épaississait, mais leur résolution restait intacte.
« On commence ce soir, » déclara Kristen, le regard brillant. « Je parie qu’il a déjà laissé des indices, quelque part. Et si Fibbs est impliquée, elle finira par se trahir. »
Vincent acquiesça, se sentant soudain plus confiant. Ensemble, ils savaient qu’ils pourraient affronter ce qui les attendait, même si les ombres autour d’eux semblaient se resserrer.
Le soir même, Vincent et Kristen s’installèrent discrètement près de la maison de Madame Fibbs. Le froid mordait leurs visages, et le vent glacé sifflait à travers les branches nues des arbres qui bordaient la rue. La maison, imposante et sombre, semblait presque abandonnée, à l’exception d’une faible lumière filtrant à travers les rideaux d’une pièce au rez-de-chaussée.
Cela faisait une heure qu’ils attendaient, blottis derrière un muret en pierre, leurs souffles formant de petites volutes dans l’air glacé. Kristen, emmitouflée dans son écharpe, bouillonnait d’impatience.
« Sérieusement, Vincent, on ne peut pas rester ici toute la nuit. Essaie de te téléporter à l’intérieur. Ce serait tellement plus rapide ! » souffla-t-elle, les joues rougies par le froid.
Vincent hésita. Il savait que sa téléportation était encore imprévisible, mais l’idée d’obtenir des réponses valait bien une tentative. « D’accord, mais reste ici. Si ça ne marche pas, on part. »
Il se recula légèrement, ferma les yeux et se concentra. Dans son esprit, il visualisait l’intérieur de la maison : la pièce faiblement éclairée, les étagères encombrées de livres et le bureau où Madame Fibbs travaillait souvent. Une sensation familière parcourut son corps, une chaleur intense montant le long de sa colonne vertébrale.
Puis, au moment où il tenta de se téléporter, une force invisible le repoussa violemment. Il fut projeté en arrière, tombant lourdement sur le sol glacé. Une douleur sourde lui traversa les épaules.
« Vincent ! » s’écria Kristen, se précipitant vers lui.
Il se redressa péniblement, massant son épaule endolorie. « Ça ne marche pas… Il y a quelque chose qui m’en empêche. Une sorte de barrière ou de protection. »
Kristen fronça les sourcils, perplexe. « Tu veux dire qu’elle aurait installé une sorte de… magie de protection ? »
« Je ne sais pas, mais c’est puissant. Je n’ai jamais ressenti ça avant, » répondit Vincent, les sourcils froncés.
Alors qu’ils débattaient de ce qu’ils devaient faire, une voix grave les interrompit.
« Vous cherchez quelque chose ? »
Ils sursautèrent et se retournèrent brusquement. Angelo Chinto se tenait là, à quelques mètres d’eux. La lumière du lampadaire voisin révélait une expression indéchiffrable sur son visage. Dans sa main, il tenait un objet brillant. Un tétraèdre.
Vincent sentit immédiatement une chaleur intense émaner de sa poche. Son propre tétraèdre semblait réagir à celui d’Angelo. La sensation était à la fois familière et terrifiante. Vincent glissa une main tremblante dans sa poche et en sortit son objet, qui brillait maintenant d’une lueur dorée vibrante.
Chez les Wicker, Alexander était plongé dans ses devoirs de mathématiques. La lumière tamisée de son bureau éclairait les pages griffonnées de formules et d’équations. Pourtant, son esprit divaguait, incapable de se concentrer pleinement. Depuis la découverte du tétraèdre dans les mains de son père, il n’avait cessé de se poser des questions. L’objet hantait ses pensées, comme un puzzle dont il ne parvenait pas à trouver les pièces manquantes.
En bas, dans la salle de jeux aménagée du rez-de-chaussée, des éclats de voix et des bruits de console se faisaient entendre. Jordan, son petit frère, jouait frénétiquement à son jeu vidéo préféré, ignorant les instructions répétées de Pierre, leur gouvernant, qui tentait vainement de l’envoyer au lit. Alexander jeta un coup d’œil à son réveil qui affichait 21h00. Un soupir s’échappa de ses lèvres. "Évidemment," murmura-t-il pour lui-même. Jordan savait profiter de l’absence de leurs parents, actuellement à Neopolis pour une soirée de charité organisée par leur mère.
Délaissant ses devoirs, Alexander quitta sa chambre et descendit les escaliers en direction de la salle de jeux. La scène qui l’attendait était familière : Jordan, étalé sur un pouf, les yeux rivés à l’écran, tandis que Pierre se tenait debout, visiblement à bout de patience.
« Jordan, il est l’heure. » déclara Alexander en entrant, son ton ferme mais calme.
Jordan tourna brièvement la tête vers son frère, une expression de défi sur le visage, avant de revenir à son jeu. « J’ai presque fini. Juste une dernière partie. »
Alexander s’avança, éteignit calmement la console, puis se tourna vers son frère avec un sourire en coin. « Pas de discussion. Demain, tu seras encore en train de pleurnicher parce que tu es fatigué à l’école. Alors, monte te coucher. »
Jordan, comprenant qu’il ne gagnerait pas face à Alexander, se leva à contrecœur et se dirigea vers les escaliers. « T’es vraiment chiant, tu sais ça ? » marmonna-t-il en montant.
« Et toi, tu es trop gâté, » rétorqua Alexander avec amusement. Il fit un signe de tête à Pierre. « Merci, je m’en occupe maintenant. »
Le gouvernant, soulagé, quitta la pièce en silence. Alexander, désormais seul, prit place sur le pouf et alluma la console. Une partie de FIFA ne pouvait pas faire de mal après une journée aussi chargée.
Alors qu’il enchaînait les matchs virtuels, un bruit étrange lui fit relever la tête. C’était comme un léger bourdonnement, presque imperceptible, qui semblait provenir de l’autre côté de la maison. Alexander fronça les sourcils, mettant le jeu en pause. Le bruit semblait venir du bureau de son père, une pièce qu’il n’aimait pas particulièrement fréquenter. Malgré cela, sa curiosité prit le dessus et il se dirigea vers la fameuse pièce..
En approchant du bureau, il remarqua une faible lueur émanant de l’intérieur, filtrant à travers l’interstice sous la porte. Alexander ouvrit doucement la porte, la lumière dorée emplissant immédiatement la pièce. Il parcourut la pièce du regard, ses yeux s’arrêtant sur la grande bibliothèque encastrée dans le mur. Derrière cette bibliothèque, il le savait, se trouvait un coffre-fort dissimulé, une des nombreuses mesures de sécurité de Franz Wicker.
Le bourdonnement devenait plus intense à mesure qu’il s’approchait. Une force étrange semblait l’attirer vers cette bibliothèque. Alexander s’agenouilla, inspectant les contours de la paroi en bois avant d’apercevoir un mince interstice révélant l’emplacement du coffre. Il appuya sur un panneau secret que son père lui avait un jour montré, dévoilant une porte d’acier massive.
Il tenta de l’ouvrir, mais elle résistait. Pourtant, alors qu’il s’apprêtait à abandonner un déclic retentit. La porte s’ouvrit lentement, révélant un intérieur baigné d’une lumière dorée vibrante.
Là, au centre du coffre, reposait le tétraèdre. Il brillait intensément, chaque facette gravée de symboles complexes qui semblaient danser sous la lumière. L’objet semblait presque vivant, pulsant au rythme d’une énergie mystérieuse.
Alexander tendit une main hésitante, puis se ravisa. Le tétraèdre vibrait, comme s’il répondait à sa présence, mais une sensation d’inconfort grandissait en lui. Cet objet n’était pas qu’un simple artefact ; il dégageait quelque chose de bien plus puissant, presque terrifiant.
« Qu’est-ce que tu es ? » murmura-t-il, ses yeux fixant les reflets dorés.
Un bruit de pas venant du couloir le tira de sa contemplation. Pris de panique, Alexander referma le coffre d’un geste précipité et repositionna la bibliothèque. Lorsqu’il se retourna, son cœur battait à tout rompre. Si son père découvrait qu’il avait accédé au coffre, les conséquences seraient lourdes.
Il quitta rapidement la pièce, mais la lueur dorée du tétraèdre restait gravée dans son esprit. Ce qu’il venait de voir soulevait plus de questions qu’il n’en résolvait. Mais une chose était certaine : cet objet n’était pas anodin. Et tout comme Vincent, Alexander savait qu’il devait en découvrir davantage.