Chapitre  8 - La famille Wicker

L'effet euphorique de la fête d'Halloween s'était dissipé, laissant place à la routine quotidienne. Les décorations aux couleurs vives avaient été remisées, et les rires des costumes fantaisistes s'étaient évanouis, ne laissant derrière eux que des souvenirs flous. Pour Alexander, cette soirée avait été une sorte de test qui lui avait fait prendre conscience de qui étaient réellement ses amis. 

Le soleil du matin illuminait la salle à manger de la résidence des Wicker à Azuri, où la famille s’était rassemblée pour le petit déjeuner. La table était chargée de viennoiseries, de fruits frais, et de jus d’orange, le tout disposé avec soin par le personnel de maison. Malgré l’apparence soignée, une tension diffuse flottait dans l’air.

Alexander s’assit à table, les muscles encore fatigués de l’entraînement de la veille. À côté de lui, son petit frère Jordan jouait déjà à un jeu vidéo sur sa console portable, ignorant totalement les regards désapprobateurs de leur père. D'une main distraite, Jordan fit tomber un pain au chocolat par terre. Un employé de maison se précipita pour ramasser la viennoiserie, mais Jordan ne daigna pas lever les yeux ou remercier.

« Jordan, » lança Alexander avec un soupir. « Dis au moins merci. »

Jordan haussa les épaules et continua à jouer. « Pourquoi ? C’est son boulot. »

Franz Wicker, qui siégeait à l’autre bout de la table, referma lentement son journal et fixa son cadet d’un regard sévère. « Montre un peu de respect, » ordonna-t-il, sa voix trahissant une irritation contenue. « Les bonnes manières ne sont pas optionnelles. »

Jordan marmonna un vague « désolé » avant de replonger dans son jeu, et Franz détourna son attention vers Alexander, qui s’apprêtait à se servir du chocolat chaud.

« Alors, comment s’est passé l’entraînement hier ? » demanda Franz, son ton adoucissant légèrement, mais ses yeux demeurant perçants. « Le coach m’a dit que tu étais en bonne forme. »

Alexander hocha la tête en déposant sa tasse sur la table. « Oui, on a travaillé nos stratégies pour le match contre Neopolis. Je pense qu’on est prêts. »

Franz esquissa un léger sourire, fier. « Assure-toi de rester concentré. Ce match est important, surtout avec les recruteurs universitaires qui viendront observer. Même en première année ils repèrent des talents»

Alexander sentit une chaleur familière se répandre en lui, mélange de stress et d'excitation. Son père était intransigeant, mais c'était justement cet engagement à ses côtés qui lui avait permis de progresser autant. Malgré ses exigences parfois écrasantes, Franz n'avait jamais caché son investissement dans le football de son fils, le soutenant et l'encourageant à chaque étape.

La porte s’ouvrit alors, et Elaine Wicker fit son entrée, vêtue de son peignoir de soie crème, les cheveux encore en bataille. Elle se dirigea vers la table, sortant une cigarette de son paquet et l’allumant d’un geste nonchalant. En inspirant la première bouffée, elle s’installa dans un fauteuil, les yeux vagues.

Franz fronça les sourcils en la voyant fumer. « Elaine, combien de fois ai-je dit que je ne voulais pas de cigarettes à table ? » Sa voix n'était plus dure, mais usée, comme quelqu'un qui répète la même phrase depuis trop longtemps.

Elaine souffla la fumée en direction du plafond. « Et combien de fois t’ai-je dit que je n’aime pas qu’on me dicte ma conduite ? » répliqua-t-elle doucement, son ton détaché contrastant avec la tension palpable qui montait dans la pièce.

Franz soupira, visiblement agacé, mais il laissa le sujet en suspens, se tournant à nouveau vers Alexander. « N’oublie pas que je veux passer en revue les vidéos de ton dernier match ce soir. Il faut être prêt pour les recruteurs. »

Alexander adorait sa mère. Elle n’avait pas toujours été aussi déconnectée. Dans ses souvenirs d'enfance, Elaine Wicker était une femme vive et déterminée, débordant d'idées et d'énergie. Elle dirigeait ses projets de charité avec une passion contagieuse, son sourire illuminant chaque pièce où elle entrait. Alexander se souvenait de ces jours où elle l'emmenait visiter les œuvres qu'elle soutenait : des centres pour enfants défavorisés, des programmes d'aide pour les familles en difficulté, des campagnes de sensibilisation pour les droits des femmes. Elle parlait de ses projets avec une ferveur qui semblait inépuisable, transformant chaque obstacle en défi à relever.

Mais au fil du temps, quelque chose avait changé. Son enthousiasme s'était étiolé, sa voix s'était faite plus distante, comme si elle parlait d'un endroit très éloigné. Elaine avait commencé à prendre ses distances avec le monde qui l'entourait, préférant le confort de l'indifférence à l'agitation de ses anciens combats. Les œuvres caritatives qu'elle continuait d'organiser étaient devenues une façade, une manière de maintenir les apparences plutôt que de réellement s'engager. Les soirées de gala et les levées de fonds ressemblaient à des cérémonies sans âme, où le nom des Wicker brillait en lettres dorées, mais où la flamme d'Elaine semblait s’être éteinte.

Alexander ne comprenait pas ce qui l'avait poussé à ce changement. Était-ce le poids des responsabilités familiales ? Les attentes de Franz, toujours plus hautes et plus exigeantes ? Ou bien un secret plus sombre, quelque chose de caché qui avait lentement rongé sa joie de vivre ? Tout ce qu'il savait, c'est que la mère forte et déterminée qu’il avait admirée s'était peu à peu transformée en une silhouette ombrageuse qui errait dans la maison comme un fantôme.

Elaine avait trouvé refuge dans l’alcool. Au début, c’était de manière discrète, un verre de vin pendant les réceptions, puis un autre en soirée lorsqu’elle travaillait sur ses rapports. Mais rapidement, les verres se transformèrent en bouteilles, et l'habitude en besoin. Le personnel de la maison, toujours discret, feignait de ne pas remarquer les bouteilles vides qui s'accumulaient dans le cabinet du salon ou les légers vacillements dans sa démarche. Quant à Franz, il préférait détourner le regard, comme s'il pensait que l'ignorer suffirait à effacer le problème. Même Alexander se surprenait parfois à adopter cette stratégie de l’aveuglement volontaire, convaincu qu'il valait mieux laisser sa mère dans son déni plutôt que de la confronter à la dure réalité.

Cependant, il ne pouvait s'empêcher de ressentir un pincement au cœur chaque fois qu'il croisait le regard vague de sa mère, ou qu'il la trouvait assise seule dans le jardin, une cigarette à la main et le regard perdu au loin. Il se demandait alors où était passée cette femme autrefois si vivante, et s’il y avait quelque chose qu’il aurait pu faire pour empêcher sa déchéance silencieuse. Elle semblait désormais enfermée dans une cage invisible, une existence morne où chaque jour se fondait dans le suivant, où les couleurs avaient disparu et où les plaisirs simples de la vie s'étaient réduits à de vagues souvenirs.

Pour Alexander, cette situation était une trahison silencieuse. Il avait perdu la mère qu’il connaissait, mais personne ne semblait vouloir reconnaître qu’il y avait un problème. Les Wicker maintenaient les apparences à tout prix, et l’état d’Elaine n’était qu’un autre secret à enfouir sous le tapis, une réalité qu’il fallait ignorer pour préserver l’image de perfection qu’ils s’étaient efforcés de construire.

Alexander soupira intérieurement en observant sa mère écraser sa cigarette dans le cendrier en argent, le geste aussi lent que désabusé. Elle se leva sans un mot, tirant sur le peignoir qui glissait de son épaule, et quitta la pièce d'un pas traînant. Le silence s’abattit sur la salle à manger, seulement troublé par le cliquetis des touches de la console de Jordan. Franz, qui suivait des yeux le départ d'Elaine, secoua légèrement la tête avant de reporter son attention sur Alexander.

« Alors, » reprit Franz, sa voix redevenant ferme, « aujourd’hui, tu devrais passer un peu de temps à revoir tes enregistrements de jeu. Ce match contre Neopolis pourrait être une véritable opportunité. Tu as déjà attiré l’attention de quelques recruteurs, mais tu dois montrer plus. J'ai vu ce que tu peux faire, et je veux que tout le monde le voie aussi. »

Alexander acquiesça. Son père ne manquait jamais de lui rappeler l’importance de ses performances sportives, mais il avait conscience que ce n’était pas seulement pour lui. Le football n’était pas qu’une simple passion, c’était un moyen de faire briller encore davantage le nom des Wicker, de montrer que même les enfants de l’élite pouvaient exceller là où on ne les attendait pas. Pourtant, l'enthousiasme d’Alexander était teinté d’amertume. Il se demandait si son père voyait réellement en lui un joueur talentueux ou simplement un atout de plus pour rehausser l’image de la famille.

Le personnel s’affairait à débarrasser la table lorsqu’un bruit métallique se fit entendre depuis le couloir. Franz plissa les yeux et se leva précipitamment. « Qu'est-ce que c’était ? » murmura-t-il, plus pour lui-même que pour les autres.

Avant que quiconque ne puisse répondre, Jordan intervint, les yeux rivés sur son écran de jeu : « C’est sûrement le vieux coffre du salon qui s'est refermé tout seul. Ça arrive souvent, avec les courants d'air. »

Franz le dévisagea un instant, puis soupira profondément. « Un jour, tu devras apprendre à faire attention à ce qui se passe autour de toi, Jordan. Tout ne tourne pas autour de tes jeux vidéo. »

Il y avait dans sa voix une pointe de désespoir à peine dissimulée. Alexander connaissait cette expression sur le visage de son père, cette frustration masquée derrière un ton paternaliste. Franz aurait voulu que ses deux fils soient ses héritiers, qu'ils incarnent la relève qu’il avait toujours imaginée pour la Wicker Corporation. Mais tandis qu’Alexander s’efforçait de répondre aux attentes de son père, Jordan semblait complètement détaché de tout ce qui concernait l'entreprise familiale.

Plus tard dans la journée, le bruit sourd des machines résonnait sur le chantier de la Wicker Corporation. D'imposantes grues et des bulldozers lourds s’activaient pour déblayer le terrain, soulevant des nuages de poussière blanche sous le soleil d’Azuri. Les ouvriers, habillés de combinaisons oranges et de casques jaunes, s'affairaient avec discipline, suivant les directives strictes qui rythmaient les expansions industrielles de l'entreprise. Ce projet en particulier revêtait une importance particulière pour Franz Wicker, qui cherchait à accroître encore davantage la présence de ses usines dans la région, consolidant ainsi son emprise sur le secteur de l’énergie.

Cependant, le sol semblait capricieux ce jour-là. Tandis qu'une équipe creusait plus profondément pour poser les fondations d’une nouvelle structure, un glissement de terrain se produisit soudainement. Une partie de la terre, instable, se déroba sous le poids des machines. Le grondement sourd se fit entendre, et un pan entier du chantier s’affaissa, révélant un vide inattendu sous la surface. Les ouvriers se figèrent, interloqués, tandis que le sol continuait de s’effondrer par vagues successives, révélant des formes obscures et irrégulières en contrebas.

À travers le nuage de poussière qui s’élevait, on apercevait ce qui ressemblait à des structures anciennes, des pierres taillées avec une précision surprenante, disposées en un réseau complexe de murs effondrés et d'arches brisées. Les ouvriers, stupéfaits, s’approchèrent prudemment des ruines, découvrant un espace souterrain qui n’avait visiblement pas vu la lumière du jour depuis des siècles. Les parois des murs étaient ornées de symboles étranges, gravés dans la pierre, tandis que le sol semblait jonché de fragments d’objets brisés, de poteries fissurées et d’éclats de métal oxydé.

Les conversations s'arrêtèrent, laissant place à un silence lourd de signification. Les hommes échangèrent des regards incertains ; ce qu’ils venaient de découvrir n'était pas simplement un obstacle de plus à surmonter, mais un véritable trésor archéologique. Ils savaient que la loi exigeait l'arrêt immédiat des travaux en cas de découverte de ce type, et bien que certains aient tenté de reprendre leurs esprits en se focalisant sur les machines, il était clair que les opérations ne pouvaient pas continuer tant que cette anomalie n’était pas élucidée.

Le chef de chantier, un homme grand et massif aux traits burinés par le soleil, se précipita pour informer ses supérieurs. « Appelez M. Wicker, » ordonna-t-il à l'un de ses assistants, d'une voix légèrement tremblante. « Il doit venir voir ça de ses propres yeux. » Les instructions furent relayées rapidement, et en moins d'une demi-heure, le bruit des machines cessa presque complètement. Les ouvriers attendaient, rassemblés autour de la zone découverte, murmurant entre eux sur l'origine possible des ruines.

Franz Wicker arriva peu de temps après, dans sa berline noire aux vitres teintées, accompagné de son conseiller en projets immobiliers. Il descendit de la voiture avec l'allure déterminée qui le caractérisait, vêtu d’un costume impeccable, même en plein chantier. Son regard glacial balaya le site, observant les ouvriers qui s’étaient écartés pour lui faire place. La nouvelle de la découverte l’avait rendu à la fois curieux et irrité ; il n’aimait pas les imprévus, encore moins lorsqu'ils pouvaient retarder ses projets. Cependant, en approchant du bord de l'excavation, quelque chose attira immédiatement son attention.

Franz s'avança lentement, contemplant les vestiges à demi enfouis. Il y avait là un mystère qui défiait toute logique : les pierres étaient travaillées d'une manière inconnue, et les motifs qui les ornaient semblaient appartenir à une civilisation oubliée depuis longtemps. Il plissa les yeux, notant des symboles gravés sur une dalle plus large que les autres. Ils étaient semblables à ceux qu'il avait vus dans d'anciens manuscrits, des écrits que certains considéraient comme des récits légendaires. Mais maintenant qu’il les voyait devant lui, il avait l'impression que ces légendes n’étaient pas aussi fictives qu’on le croyait.

« Creusez plus loin, » ordonna-t-il finalement d’un ton autoritaire. « Je veux savoir exactement ce qu’on a trouvé ici. Si c’est un site archéologique, nous en prendrons le contrôle. » Les ouvriers échangèrent des regards inquiets, mais se remirent rapidement au travail. Le projet initialement prévu prenait une toute nouvelle tournure. Ce n'était plus seulement une question d’expansion industrielle, mais peut-être de révélation d'un secret enfoui depuis des millénaires.

En scrutant de plus près les ruines, Franz remarqua une lueur métallique enfouie sous un amas de pierres. Il se pencha et demanda à l’un des ouvriers de dégager le bloc. Après quelques minutes d’effort, ils parvinrent à extirper un objet recouvert de terre : un polygone doré, parfaitement intact malgré l’épreuve du temps. Gravé de symboles étranges et indéchiffrables, il brillait d’une lueur singulière sous les rayons du soleil. Franz le saisit avec précaution, ressentant aussitôt une vibration inhabituelle parcourir sa main.

Il comprit à cet instant que ce qu’ils venaient de découvrir dépassait de loin les enjeux commerciaux de la Wicker Corporation. C'était une relique d'un autre temps, un vestige porteur de secrets que personne n'aurait jamais imaginé trouver sous le sol d’Azuri. Un sentiment d'excitation mêlée de crainte s’empara de lui. Désormais, ce projet allait prendre une toute nouvelle direction, et il comptait bien être celui qui en tirerait le maximum.

 

Le soleil baignait le lycée d’Azuri d’une lumière douce et dorée, projetant des reflets chatoyants sur les vitres des salles de classe. L’air était encore frais malgré l’heure avancée de la matinée. Vincent s’appuyait contre son casier, les épaules légèrement voûtées, tandis que ses pensées tourbillonnaient dans un mélange de mystère et de tension. L'image du tétraèdre ne cessait de s'imposer à son esprit, chaque facette dorée semblant murmurer des secrets qu'il ne pouvait saisir. La clameur des couloirs, avec ses éclats de rires et ses conversations désordonnées, lui paraissait lointaine, presque irréelle. Une légère sueur perlait sur ses tempes, non pas à cause de l'agitation ambiante, mais sous le poids des questions qui l'assaillaient. Était-il seulement prêt à affronter ce que ces symboles et cet objet pouvaient révéler ? Sa main glissa machinalement sur le froid du métal du casier, cherchant un ancrage dans le tumulte de ses pensées. Ses doigts effleuraient distraitement le métal froid, mais son esprit était ailleurs, hanté par le souvenir de la fête d’Halloween et les secrets que son tétraèdre semblait receler. 

Et puis, il y avait eu ces moment étranges, où Vincent s’était retrouvé, l’espace de quelques secondes et quelques fois d’affilées, à la place de son double à Candelaria. La transition avait été aussi soudaine qu’inexplicable. Il s’était retrouvé dans une salle à manger aux murs ornés de peintures anciennes, entouré de ses cousins éloignés, tous réunis pour un repas traditionnel. Les conversations en espagnol résonnaient avec une chaleur mêlée de solennité, mais l’atmosphère s’était tendue à l’instant où Fabrice avait noté l’air absent et la posture maladroite de son "fils".

Fabrice, fidèle à lui-même, ne laissait jamais passer une occasion de souligner un comportement qu’il jugeait inadéquat. Le regard froid qu’il avait lancé à "Vincent" avait suffi à faire comprendre qu’il était déjà contrarié. Cependant, lorsque le double, encore désorienté par l’échange soudain, répondit de manière hésitante à une question posée par son père, Fabrice perdit patience. La gifle qu’il asséna fut rapide, sèche, résonnant dans le silence soudain de la pièce. Les conversations s’étaient interrompues, les regards incrédules de la famille s’étaient tournés vers eux, et le double, bien que troublé, était resté figé, comme s’il cherchait à comprendre ce qui venait de se passer.

Pour Vincent, qui avait regagné son propre corps presque aussitôt, la scène était restée gravée dans son esprit, empreinte d’un mélange de culpabilité et de frustration. Bien qu’il n’ait pas directement subi la claque, il ressentait le poids de l’humiliation infligée à son double. Quant à Fabrice, il semblait avoir noté cette brève "déconnexion" avec une lueur d’interrogation dans le regard, comme s’il percevait que quelque chose n’allait pas. Heureusement, la situation avait été rapidement couverte par une explication confuse du double, qui attribuait son comportement à la fatigue du voyage.

Cependant, Vincent ne pouvait s’empêcher de se demander si Fabrice avait vraiment cru cette excuse. Le regard perçant de son père l’avait hanté pendant des jours, tout comme la sensation dérangeante de perdre momentanément le contrôle de son esprit.

Au lycée, des groupes d’élèves échangeaient rires et bavardages, une cacophonie familière qui contrastait avec son isolement intérieur. Les éclats de voix se mêlaient au tintement des casiers qu’on ouvrait et fermait, mais tout cela semblait loin de lui, comme une toile de fond indistincte à ses préoccupations. Ses doigts jouaient distraitement avec le petit tétraèdre doré qu’il avait récupéré dans la forêt Émeraude. Chaque fois qu'il le regardait, une sensation de mystère l'envahissait, comme si cet objet contenait des réponses qu'il était incapable de comprendre pour le moment. Kristen lui avait conseillé de le cacher, mais il trouvait difficile de s’en séparer, même pour un instant.

« Vincent ! » l’interpella Alexander, arrivant avec un ballon de football sous le bras. Il portait son uniforme d’entraînement, ses cheveux châtains collés à son front par la sueur. « Tu viens voir notre séance aujourd’hui ? »

Pris au dépourvu, Vincent fit un mouvement brusque et fit tomber le tétraèdre. L’objet tinta en heurtant le sol avant de s’arrêter au pied d’Alexander, qui le ramassa aussitôt. Ses sourcils se froncèrent tandis qu’il examinait les gravures étranges sur les faces dorées.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Alexander, intrigué.

Vincent sentit son ventre se nouer. « Oh, juste un vieux truc que j’ai trouvé dans un magasin d'antiquités. »

Alexander le regarda, dubitatif, avant de lui rendre l’objet. « Intéressant. On dirait presque une relique ou un truc mystique. »

Vincent força un sourire. « Ouais, c’est juste un objet cool. Rien de plus. »

Mais l’intérêt évident dans les yeux d’Alexander fit naître une appréhension chez Vincent. Il savait qu’il devait être plus prudent.

 

L’après-midi était bien avancée lorsque l’équipe de football du lycée se rassembla sur le terrain. Alexander, en tant que milieu de terrain star, était sous les projecteurs, contrôlant le ballon avec une aisance naturelle qui attirait les regards. Lors d’un moment crucial, il fit un dribble audacieux pour passer entre deux défenseurs, puis décocha une passe millimétrée à l’attaquant. Cette action arracha des applaudissements enthousiastes du coach et de ses coéquipiers. Ses mouvements précis et sa vision du jeu démontraient pourquoi il était le pilier central de l’équipe, toujours capable de transformer une situation anodine en une opportunité dangereuse pour leurs adversaires. Le coach, un homme trapu et autoritaire, aboyait ses ordres tandis que les joueurs s’échauffaient.

« Allez, Wicker ! Bouge-toi un peu plus ! Les recruteurs seront là samedi, pas de place pour les erreurs ! »

Alexander grinça des dents mais accéléra le rythme, courant après le ballon avec une intensité renouvelée. Ses coéquipiers l’encourageaient, mais l’atmosphère était tendue. Tout le monde savait que ce match était crucial, non seulement pour l’équipe, mais aussi pour Alexander, dont le père avait des attentes écrasantes.

Après l’entraînement, alors qu’il était encore sur le terrain à travailler ses tirs au but, son père, Franz Wicker, apparut sur la ligne de touche. En costume impeccable, il observait son fils avec un regard perçant.

Le soir, dans la berline noire de Franz, l’air était lourd de tension, accentué par le ronronnement discret du moteur et l'éclat tamisé des lumières de la ville qui traversaient les vitres teintées. Alexander, vêtu d’un jean et d’un t-shirt propre après s’être douché dans les vestiaires du lycée, se tenait droit sur le siège en cuir noir, ses mains crispées sur ses genoux. Le parfum subtil de cuir neuf mélangé à une légère senteur de menthe flottait dans l’habitacle. Franz, impeccablement vêtu dans son costume gris anthracite, gardait les yeux rivés sur la route, sa mâchoire serrée trahissant une réflexion intense. Les réverbères défilaient en silence, illuminant par moments son profil dur et austère. L’atmosphère pesait, chaque seconde de mutisme semblant étirer le temps. Enfin, Franz brisa le silence, sa voix grave résonnant comme un coup de marteau : "Alex, ton entraînement aujourd’hui n’était pas à la hauteur. Les recruteurs attendent de voir un joueur déterminé, pas quelqu’un qui se contente de suivre le rythme."

Alexander serra les poings, le regard fixé sur les lumières des réverbères défilant à l’extérieur. Malgré les acclamations de su coach et de ses coéquipiers, son père avait toujours quelque chose à redire. « Je fais de mon mieux, papa. Mais parfois, c’est difficile de tout concilier. »

Franz tourna brièvement la tête vers lui, son expression impassible. « La vie est difficile, Alexander. Mais si tu veux réussir, tu dois surmonter ces obstacles. Tu portes le nom des Wicker. Cela signifie que tu n’as pas le droit à l’erreur. »

Alexander ne répondit pas, mais son estomac se noua. Le poids des attentes de son père devenait parfois insupportable. Alors qu’ils s’arrêtaient à un feu rouge, Franz tourna enfin son regard vers lui.

« Je crois en toi, » dit-il d’un ton plus doux, mais ferme. « Mais il est temps que tu montres à tout le monde de quoi tu es capable. »

Alexander hocha la tête sans un mot, ses pensées tourbillonnant.

Plus tard dans la nuit, Alexander, qui avait du mal à dormir, descendit les escaliers pour aller prendre un verre d'eau dans la cuisine. Alors qu’il passait devant le bureau de son père, il remarqua que la porte était entrebâillée. Une lueur dorée filtrait à travers l’ouverture, attirant son attention.

Curieux, Alexander s’approcha sans bruit, son souffle court et ses pas feutrés sur le parquet ciré. Il posa une main sur le chambranle de la porte entrebâillée, jetant un coup d’œil prudent à l’intérieur du bureau. La lumière tamisée de la lampe de bureau projetait une aura dorée sur les murs sombres, attirant son regard vers le centre de la pièce. Là, assis dans son fauteuil en cuir, Franz était penché sur un objet qu’il tenait entre ses mains. Alexander plissa les yeux, son cœur battant à tout rompre. Ce qu’il voyait brillait doucement, un tétraèdre doré presque identique à celui qu’il avait vu tomber aux pieds de Vincent plus tôt dans la journée. Une lueur mystérieuse dansait sur ses facettes gravées de symboles étranges. Franz, absorbé, semblait examiner chaque détail avec intensité, ses doigts effleurant les gravures comme pour en percer les secrets. La scène paraissait irréelle, presque mystique, et Alexander sentit une vague de confusion mêlée d’appréhension monter en lui. Pourquoi son père possédait-il un tel objet ? Franz était assis à son bureau, tenant dans ses mains un objet doré qui brillait doucement à la lumière de la lampe. Alexander plissa les yeux. C’était un tétraèdre, identique à celui qu’il avait vu chez Vincent plus tôt dans la journée. Mais là, dans le bureau de son père, sous la lueur dorée de la lampe, Alexander était submergé par un mélange de confusion et de tension. Pourquoi Franz possédait-il un objet si semblable à celui qu'il avait vu tomber du sac de Vincent ? Les gravures mystérieuses, presque mystiques, semblaient raconter une histoire qu'Alexander était encore loin de comprendre. Alors qu'il recula lentement dans le couloir, ses pensées s'embrouillaient. L’écho de ses pas sur le parquet semblait s’amplifier, révélant son agitation interne. En atteignant sa chambre, il s'arrêta, le regard fixe et la mâchoire serrée. Quelque chose d’invisible et de puissant liait Vincent, son père et ces objets étranges. Ce n’était plus une simple coïncidence. Alexander savait qu’il ne pouvait plus faire semblant d’ignorer ce qu’il avait vu.

Les questions se bousculaient dans son esprit, chaque nouvelle interrogation rendant l’énigme encore plus oppressante. Alexander prit une profonde inspiration, puis s’allongea dans son lit. Il devait garder son calme, mais une chose était certaine : il ne pourrait pas ignorer cette découverte.