Chapitre 7 - Double jeu
Les semaines avaient défilé depuis la rentrée, plongeant Vincent et Kristen dans la routine du lycée. Le passage à cette nouvelle étape de leur vie avait apporté son lot de changements : nouveaux cours, nouvelles rencontres, et une dynamique sociale qui évoluait. Mais pour Vincent, cette période était marquée par bien plus que la simple transition vers le lycée. Depuis ce jour étrange dans la forêt, lorsqu’il avait touché cet arbre mystérieux et découvert la marque sur son torse, il sentait que quelque chose de bien plus profond était en jeu.
Même si la vie quotidienne d’adolescent continuait son cours, Vincent ne pouvait jamais complètement échapper à cette réalité troublante. Les visions revenaient parfois, brèves mais puissantes, lui rappelant qu’il n'était pas un garçon comme les autres. Les symboles qu’il avait vus gravés sur l'arbre étaient restés gravés dans son esprit, un mystère qu’il n’avait pas encore élucidé.
Kristen, fidèle à elle-même, était toujours là pour lui, comme elle l’avait toujours été. Elle l’aidait à sa manière, avec son pragmatisme habituel, mais elle ne semblait pas aussi préoccupée que lui par ces phénomènes surnaturels. Pour Kristen, la vie continuait : les sorties entre amis, les devoirs, les fous rires... Elle restait attentive à Vincent, bien sûr, mais ce n’était pas sa réalité à elle. Elle voyait cela comme un problème qu'ils finiraient par résoudre, sans s’angoisser inutilement. Elle était une épaule sur laquelle Vincent pouvait compter, mais elle n’était pas affectée de la même manière par ces événements étranges.
Au fil des jours, ils avaient essayé de reprendre leurs recherches sur les symboles, mais chaque tentative avait été éclipsée par les responsabilités et les distractions de la vie lycéenne. Vincent, de son côté, sentait une inquiétude grandissante. Il ne pouvait pas se contenter de faire semblant que tout était normal, car rien ne l’était pour lui. La marque, les visions... tout cela le hantait, même s’il n’en parlait pas toujours à Kristen.
D’un autre côté, Vincent commençait à se familiariser de plus en plus avec son pouvoir de téléportation, un don aussi fascinant que dangereux. Il avait passé des semaines à l’explorer, le testant sous toutes ses formes et dans diverses situations. Il avait rapidement compris qu'il ne pouvait se téléporter que sur de très courtes distances, et encore, avec une grande concentration. Il lui fallait non seulement visualiser clairement sa destination, mais aussi faire attention à son environnement. Le moindre détail pouvait avoir des conséquences imprévisibles.
Un jour, alors qu’il s’entraînait seul dans sa chambre, Vincent avait fait une erreur qui lui avait servi de leçon. En essayant de se téléporter à quelques mètres, il avait accidentellement emporté la porte de sa chambre avec lui. Il s’était retrouvé en plein milieu de la forêt, abasourdi, avec cette porte en bois imposante à ses côtés. Le choc passé, il avait tenté de se téléporter à nouveau, espérant ramener la porte avec lui. Mais à sa grande frustration, il était incapable de la faire revenir. Il s’était retrouvé seul avec elle dans la clairière, sans savoir quoi faire.
En rentrant chez lui sans la porte, il avait vite compris que ce genre d'erreurs ne passerait pas inaperçu. Lorsque son père avait découvert l’encadrement vide, il était entré dans une colère noire, hurlant à travers la maison en exigeant une explication. Vincent, bien sûr, avait dû improviser une excuse, prétextant un accident des plus banals. « Elle est tombée, » avait-il marmonné, mais il savait bien que son père n’avait pas cru un mot de son histoire. La porte n’avait jamais été retrouvée, et depuis cet incident, Vincent redoublait de prudence chaque fois qu'il utilisait son pouvoir.
Ce petit échec n'avait cependant pas freiné sa curiosité ni sa volonté de pousser son pouvoir plus loin. Il s’était mis à expérimenter avec des objets de différentes tailles, pour voir jusqu'où il pouvait aller. Le fait qu'il ait pu emporter la porte avait confirmé qu'il pouvait téléporter d'autres objets avec lui, à condition de les toucher. Cela soulevait une nouvelle question : s’il pouvait téléporter des objets, serait-il capable d’emporter d’autres personnes ?
Kristen avait été la première à se porter volontaire, prête à tenter l’expérience. Cependant, malgré tous ses efforts, Vincent n'avait jamais réussi à la téléporter avec lui. Ils avaient essayé à plusieurs reprises, dans différents lieux, mais chaque fois qu’il se téléportait, Kristen restait derrière, comme si une barrière invisible l’empêchait de franchir ce seuil avec lui. C’était frustrant. Il sentait que son pouvoir était en pleine évolution, mais quelque chose lui échappait encore.
Il avait également découvert une autre limite à son pouvoir : il ne pouvait se téléporter que dans des endroits qu’il connaissait bien, des lieux qu’il pouvait visualiser précisément dans son esprit. Cela avait été un problème lorsqu’il avait tenté de se rendre dans des lieux inconnus ou à des distances trop grandes. Pour l'instant, son pouvoir se bornait à des espaces familiers. Le sous-sol du lycée avait été un coup de chance
Alors qu’Halloween approchait, la tension semblait s’accentuer. Alexander, connu pour ses fêtes mémorables, organisait une grande soirée pour l’occasion, et toute l’école en parlait. Les costumes étaient choisis, les décorations prêtes, et l’excitation montait chez les élèves. Pourtant, pour Vincent, cette fête était un répit malgré quelque chose de bien plus vaste. Chaque jour, il sentait que quelque chose d’important approchait, une vérité qu’il ne pourrait pas éviter longtemps. Mais il restait un ado après tout alors il comptait bien profiter de la fête.
Kristen, fidèle à sa nature, l’encourageait à se détendre et à profiter du moment. « Ce truc avec l’arbre, on s’en occupera après Halloween, » lui avait-elle dit un jour, essayant de le rassurer. Mais Vincent savait qu’il n’avait pas tout le temps du monde. Il sentait que quelque chose était en marche, quelque chose qu'il ne comprenait pas encore mais qui changerait bientôt tout.
Vincent se tenait une fois de plus devant l'arbre imposant, ce monument mystérieux qui semblait garder en lui des secrets ancestraux. Il avait décidé d’y retourner, accompagné de Kristen, pour poursuivre l’enquête sur les symboles. Lorsqu’ils s’approchèrent du tronc, une étrange énergie émanait toujours de l’arbre, comme la première fois. Mais cette fois, quelque chose de nouveau attira leur attention.
Juste sous les racines, à moitié enfoui dans la terre, un objet émergeait : un tétraèdre, parfait, d’une couleur dorée. Vincent se pencha pour l’observer de plus près, une étrange sensation de déjà-vu traversant son esprit. La surface du tétraèdre était recouverte des mêmes symboles runiques qu'ils avaient vus sur l'arbre, mais avec une précision encore plus nette. Kristen le rejoignit, ses yeux brillants d’excitation. « Tu crois que ça fait partie de ce qu’on a lu ? Cette civilisation ancienne dont on parlait ? »
Vincent, fasciné par l’objet, hocha la tête en silence. Il sentait que cet artefact avait une importance capitale. « Ça doit être lié… Et je pense que ce n’est pas simplement un objet ancien. Il cache quelque chose. »
Ils passèrent le reste de l’après-midi à l’examiner, cherchant des indices. Mais pour l’instant, rien de concret ne semblait se révéler.
« On doit comprendre comment fonctionne ce truc » murmura Vincent, son regard perdu dans les symboles. « Si un pouvoir caché existe, je dois savoir pourquoi je suis lié à lui. »
Kristen, toujours pratique, suggéra de poursuivre leurs recherches à la bibliothèque. « Peut-être qu’il y a des textes qui expliquent comment utiliser ce tétraèdre. On ne peut pas avancer à l’aveugle. »
De retour chez lui, Vincent ressentait encore les effets des mystères non résolus de la journée, notamment ce qu’il avait découvert dans la Forêt Émeraude. Alors qu'il montait à l'étage, il entendit son père, Fabrice, l'appeler depuis le salon avec son habituelle voix calme mais déterminée.
« Vincent, viens un instant. »
Vincent soupira. Avec tous les événements récents, il ne voulait pas être distrait par autre chose, mais il obéit tout de même. Dans le salon, Fabrice était assis dans son fauteuil habituel, les bras croisés, tandis que Rosalina, sa mère, terminait de ranger la cuisine. L'odeur familière des plats mexicains réchauffait la pièce.
Fabrice le regarda droit dans les yeux, avec cette expression qui laissait peu de place à la discussion. « J’ai une nouvelle à t’annoncer. On part au Mexique dans deux jours. Toute la famille. »
Vincent resta figé. « Quoi ? Maintenant ? »
Fabrice hocha la tête d’un air ferme. « Oui. Notre petite cousine Alfreda nous a invités à passer quelques jours avec eux. C’est important. Ça fait un moment que tu ne les as pas vu. surtout que la dernière fois qu’on vous a laissé ta soeur et toi ici pour y aller, tu as fait un accident de scooter avec ton amie Kristen, donc je n’ai pas confiance »
Accident ou pas, Vincent savait que la décision de son père serait la même. L’adolescent se souvint néanmoins avoir voltigé dans un rond point l’été dernier, tandis que Kristen avait été trainée sur le sol par l'engin. Vincent avait passé la nuit à l'hôpital car il avait brièvement perdu conscience, et Kristen avait eu une grosse brûlure sur le bras gauche et des quelques contusions, ils avaient vraiment eu de la chance.
Mais pour Vincent, le timing ne pouvait pas être pire. Il venait tout juste de découvrir une série d’indices cruciaux concernant les symboles de l’arbre et sur son torse, plus le tétraèdre, et il était en plein cœur de l’enquête avec Kristen. Sans oublier qu'il y avait la fête d’Halloween chez Alexander, un événement que tout le monde attendait avec impatience. Il risquait de rater quelque chose d’important.
« Mais... Il faut vraiment qu’on parte maintenant ? » tenta-t-il, essayant de garder un ton respectueux. «
Fabrice ne haussa même pas un sourcil. « La famille passe en priorité. » Il laissa un silence peser dans la pièce avant d’ajouter, de ce ton naturel qu’il employait pour toutes les décisions définitives : « Ce n’est pas négociable. »
Vincent savait que discuter ne servirait à rien. Fabriceavait toujours cette manière d'imposer les choses avec une autorité sans faille. Quand il décidait quelque chose, tout le monde suivait.
Rosalina, qui avait écouté la conversation depuis la cuisine, s'approcha avec un sourire. « Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu la famille. Ce sera l’occasion pour toi de te reconnecter avec tes racines mexicaines. Et qui sait, peut-être que ce voyage te fera du bien. »
Bien que la mère de Vincent soit elle-même d'origine mexicaine, c'était surtout la famille de Fabrice qu'ils allaient voir. Sa petite cousine Alfreda vivaient dans une petite ville du sud du Mexique, près des terres familiales. Vincent avait des souvenirs flous des rares fois où ils s'étaient rendus là-bas, entourés de montagnes et de traditions locales.
« On ne part qu'une semaine, » ajouta Rosalina, en essayant de le rassurer. « Tu seras de retour avant de t’en rendre compte. »
Mais Vincent ne se laissait pas convaincre aussi facilement. Il pensait à tout ce qu'il allait manquer : la fête d’Halloween, les recherches sur les symboles avec Kristen, et surtout, comprendre ce qu’il se passait en lui depuis qu’il avait touché cet arbre dans la Forêt Émeraude. Comment pourrait-il se concentrer sur les réunions de famille alors que des forces bien plus mystérieuses semblaient le poursuivre ?
« Prépare tes affaires, » conclut Fabrice. « Le départ est prévu pour après-demain matin. »
Résigné, il acquiesça d’un signe de tête, l’esprit en ébullition. Il n'avait que deux jours pour avancer dans ses recherches et comprendre ce qui lui arrivait avant d’être obligé de mettre tout en pause pour ce voyage familial.
Vincent monta dans sa chambre d’un pas lourd, sentant le poids de ce voyage imposé s'alourdir sur ses épaules. Il n’avait aucune envie de retourner à Candelaria, cette ville où vivait une partie de sa famille paternelle au sud du Mexique. Ce voyage, bien qu’organisé sous couvert de vacances familiales, représentait pour lui un retour à un environnement qu’il trouvait oppressant et archaïque. Les souvenirs de ses séjours passés là-bas revenaient le hanter.
La famille de son père était profondément traditionnelle, peut-être même trop. Une tradition où les rôles étaient rigides, figés dans une époque révolue, mais où personne ne semblait vouloir changer. Les hommes se pavanaient comme des coqs, fiers de leur virilité et de leur domination sur le foyer, tandis que les femmes étaient reléguées à la cuisine, au ménage, et à s’occuper des enfants. C’était un fossé immense que Vincent ne comprenait pas, mais qu’il était forcé d’accepter à chaque fois qu’il mettait les pieds dans cette maison.
Il se rappelait parfaitement d’une scène lors de son dernier séjour à Candelaria. Le repas venait de se terminer et, instinctivement, Vincent s'était levé pour aider à débarrasser la table, comme il le faisait naturellement chez lui à Azuri. Mais dès qu'il avait pris une assiette, il avait senti tous les regards se braquer sur lui. Les hommes de la famille, assis autour de la table, l’avaient fixé en silence, une tension palpable dans l’air. Il se souvenait du regard déçu et furieux de son père. Ce dernier ne l’avait pas réprimandé sur le coup, mais l’atmosphère était devenue glaciale. Plus tard, Fabrice l'avait pris à part et lui avait reproché son geste : « Tu ne refais jamais ça ici, tu m’entends ? Les hommes ne débarrassent pas. C’est aux femmes de le faire. Tu dois respecter la famille, Vincent. » Bien évidemment ce reproche fut accompagné d’une gifle qui lui avait décroché la tête.
Ce jour-là, Vincent avait senti une profonde frustration. Il ne comprenait pas pourquoi aider était considéré comme une faiblesse. Il se sentait pris au piège dans un monde où les traditions dictaient des comportements qu’il trouvait injustes et dépassés. Mais la leçon de son père avait été claire : à Candelaria, il devait jouer le jeu. Ce qui se passait là-bas restait là-bas.
Fabrice, qui était strict à Azuri, devenait quelqu’un de beaucoup plus autoritaire et intransigeant en présence de sa propre famille. Vincent voyait bien que son père, une fois plongé dans cet environnement patriarcal, se trouvait au paroxysme de l’insupportable. Il se faisait le porte-voix des coutumes rigides de sa famille, imposant à Vincent des règles qu'il ne suivait même pas à Azuri.
Ces séjours, censés être des vacances, se transformaient pour Vincent et sa sœur en véritables épreuves. Ils devaient faire attention à leurs gestes, à leurs paroles, à ne pas froisser les sensibilités de cette famille attachée à des valeurs qui leur semblaient d’un autre temps. La tension entre lui et son père s’accentuait à chaque séjour, car Vincent n’était plus un enfant prêt à se soumettre sans rien dire. Chaque visite à Candelaria était une épreuve de plus, un test de son endurance à supporter ces traditions qui l'étouffaient.
Il poussa un long soupir, allongé sur son lit. La perspective de passer la semaine d’Halloween loin d’Azuri, de ses recherches et, surtout, de la grande fête organisée chez Alexander, le rendait encore plus amer. Ces découvertes récentes – les symboles, le polygone mystérieux, la marque sur sa poitrine – tout cela le fascinait et le troublait à la fois. Il avait besoin de réponses, pas d’un voyage pour fuir ses interrogations.
Mais à Candelaria, ce genre de préoccupations n'avait aucune place. Là-bas, les conversations tournaient autour de la famille, des responsabilités des hommes, et des traditions à respecter. Ses inquiétudes, ses pouvoirs naissants, tout cela serait relégué au second plan.
Le soir, après une longue journée passée à essayer de comprendre les mystères entourant le tétraèdre, Vincent, épuisé, décida de poser l'objet sur sa table de nuit. La lumière douce de la lampe de chevet baignait la pièce, projetant une faible lueur sur les murs de sa chambre. Le tétraèdre, de forme géométriquement parfaite, semblait étrangement paisible, inoffensif. Vincent l’observa un instant, son esprit embrouillé par toutes les questions qui tourbillonnaient en lui. Fatigué, il finit par éteindre la lampe et s’enfonça sous les couvertures.
Le sommeil le gagna rapidement, comme une vague le submergeant, le plongeant dans un profond état d'inconscience. Mais ce qu'il ignorait, c'était que pendant la nuit, l'atmosphère de sa chambre allait changer. Une étrange lueur, subtile d'abord, puis de plus en plus vive, émanait du tétraèdre posé à côté de lui. L'objet, qui semblait inanimé quelques heures plus tôt, se mit soudain à vibrer légèrement, sa surface s'illuminant d'une lumière étrange, presque surnaturelle. Le tétraèdre projetait des éclats dorés et argentés, illuminant toute la pièce de l’intérieur.
Vincent, inconscient de ce qui se passait autour de lui, dormait profondément, son souffle régulier se mêlant au bourdonnement faible du tétraèdre. Les ombres dans la pièce prenaient des formes étranges à mesure que la lumière se répandait, jouant sur les murs et les objets avec une intensité croissante. Puis, sans avertissement, l’étrange phénomène s’intensifia. Une légère pulsation émana de l’objet, comme un battement de cœur, créant une onde dans l’air de la chambre.
Quelques heures plus tard, Vincent s’éveilla en sursaut, pris d’un étrange malaise. Il avait la sensation que quelque chose n’allait pas. Encore à moitié endormi, il ouvrit difficilement les yeux, peinant à discerner ce qui l’entourait dans la pénombre de la pièce. C’est alors qu’il ressentit une présence, une ombre mouvante à côté de lui. Son cœur s'accéléra instantanément. Il se redressa d’un coup, ses yeux cherchant désespérément à s’habituer à l’obscurité.
Puis, il vit une silhouette indistincte allongée à côté de lui. Son souffle se bloqua dans sa gorge, et un frisson glacial parcourut son corps. Quelqu’un était dans son lit. Instinctivement, et sans prendre le temps de réfléchir, Vincent donna un coup de pied violent dans la direction de l’intrus. Un bruit sourd résonna dans la chambre. La silhouette tomba lourdement sur le sol dans un gémissement de douleur.
Le cœur battant à tout rompre, Vincent se pencha au-dessus du bord du lit, ses mains tremblantes agrippant les couvertures. La peur se mêlait à la confusion. Mais ce qu’il vit en bas du lit lui glaça le sang. C’était lui-même. Le visage de l’autre, grimaçant de douleur, était identique au sien. La mâchoire fine, les cheveux en désordre, et même ce petit grain de beauté sur le bas de son menton, tout était parfaitement similaire.
Le double, toujours assis sur le sol, se frottait le bas du dos, visiblement affecté par la chute. Il leva les yeux et croisa le regard de Vincent. Pendant un instant, le temps sembla se figer. Le silence régnait dans la pièce, lourd et oppressant. Vincent n’osait bouger, sa respiration saccadée trahissant son état de choc. Ce n’était pas possible. Son esprit refusait d'accepter ce qu'il voyait. Il avait face à lui son double parfait, un reflet vivant de lui-même, comme une copie sortie de ses cauchemars les plus fous.
Les deux Vincent se fixaient, chacun essayant de comprendre ce qui venait de se passer. Le Vincent du sol, celui qui semblait avoir surgi de nulle part, finit par rompre le silence en levant une main dans un geste de paix, comme pour apaiser son original.
« Désolé, je ne voulais pas te faire peur... » murmura-t-il d’une voix qui ressemblait en tout point à celle de Vincent.
Vincent resta interdit. Il cligna des yeux à plusieurs reprises, cherchant désespérément une explication rationnelle. Était-ce un rêve ? Non, tout cela semblait beaucoup trop réel. Il sentait encore le froid du sol sous ses pieds nus, l'humidité légère de la nuit, et son propre souffle haletant.
L’autre Vincent, le double, se leva lentement, toujours avec cette expression légèrement désolée sur le visage, et passa une main dans ses cheveux – un geste que Vincent connaissait bien puisqu’il le faisait souvent lui-même lorsqu’il était nerveux. « Je crois que... je suis toi », dit le double, un sourire presque nerveux étirant ses lèvres.
Vincent se recula légèrement sur le lit, la tête emplie de questions, le cœur battant encore plus vite. Comment cela était-il possible ? Il jeta un rapide coup d'œil à la table de nuit où le tétraèdre reposait encore, éteint, comme s’il n’avait jamais émis la moindre lumière.
Vincent observa son double, toujours perplexe, essayant de comprendre l'ampleur de ce qu'il avait devant lui. « Ça te dérange si on va faire une balade ? » demanda-t-il finalement au Vincent 2.0, d'une voix hésitante. Il avait besoin de temps, d’espace, et surtout de trouver une solution pour gérer tout ça.
Le double sourit et haussa les épaules. « Je te suis. »
En marchant vers la forêt, Vincent ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d'œil furtifs à son homonyme, vérifiant constamment s’il était toujours là, réel. Il lui avait prété une casquette et des lunettes de soleil. Tout le monde à Azuri savait que Vincent n’avait pas de jumeau. Le silence entre eux était presque étouffant, interrompu seulement par le bruissement des feuilles sous leurs pieds. L'air frais de la Forêt Émeraude, habituellement apaisant, semblait aujourd'hui chargé d'une tension palpable. Vincent se demandait comment Kristen réagirait face à ce dédoublement inattendu.
Arrivés au pied du grand arbre, Kristen les attendait, adossée au tronc, l’air pensif. Lorsqu’elle aperçut les deux Vincent, ses yeux s’écarquillèrent, une expression d’incrédulité se dessinant sur son visage.
« Alors là » murmura-t-elle, fascinée. Elle s'approcha du double avec une curiosité insatiable, ses mains tremblant presque d'excitation. « C'est incroyable ! »
Kristen ne put s’empêcher de le scruter minutieusement. Elle fit le tour de lui, observant chaque détail, chaque trait, comme une scientifique face à un phénomène nouveau. « Est-ce que tu penses comme Vincent ? Est-ce que tu ressens les mêmes choses ? » Elle enchaînait les questions à un rythme effréné, ne laissant presque pas le temps au double de répondre.
« Je suis lui, Kristen, » répondit calmement Vincent 2.0, amusé par son enthousiasme. « Je pense comme lui, je ressens comme lui. En fait, on est exactement pareil, à tous points de vue. »
Kristen s'arrêta enfin, le regard pétillant. « C'est juste... fou ! C’est comme si quelqu’un avait fait un copier-coller de toi. Je veux dire, c’est toi mais... pas toi ! » Elle laissa échapper un rire incrédule. « Est-ce que tu as aussi ses souvenirs ? »
Le double hocha la tête. « Oui, tous. Depuis notre enfance jusqu'à aujourd'hui. »
Vincent, qui observait la scène avec un léger sourire, intervint finalement. « Kristen, est-ce que tu pourrais l’accueillir chez toi pour un temps ? Juste jusqu’à ce que je trouve une solution. » Son ton était sérieux, presque suppliant. Il savait qu’il ne pouvait pas garder son double sous le même toit sans que cela n’éveille des soupçons.
Le double prit alors la parole, rompant la légère tension. « En fait, je suis là seulement jusqu'à ce que nos parents rentrent du Mexique. C'était bien ce que tu voulais, non ? Pouvoir rester ici à Azuri pendant qu’ils sont là-bas ? »
Kristen laissa échapper un cri d’excitation. « Mais oui ! C’est juste génial ! Tu vas pouvoir rester ici et... » Elle se retourna vers l'original. « C’est la solution parfaite ! Tu pourras continuer à enquêter, et lui, il... » Elle s'arrêta, réalisant l'ampleur de la situation.
Vincent, toujours aussi sceptique, leva la main pour la faire taire. « Attends, attends... » Il se tourna vers son double. « Tu es donc au courant de comment tu es arrivé ici ? Tu sais pourquoi tu existes ? »
Le double se gratta la tête, pensif. « Oui, bien sûr. Je sais que tu as souhaité ne pas aller au Mexique, c'était un désir profond. Et c’est là que je me suis réveillé, à côté de toi. Je pense que c'est lié au tétraèdre. Il peut faire certaines choses... des choses que nous ne comprenons pas encore. »
Kristen, intriguée, haussa un sourcil. « Tu veux dire que tu en sais plus sur cet objet mystérieux que nous ? »
Le double secoua la tête. « Pas vraiment. Je suis une copie de Vincent, donc je ne sais rien de plus que ce que lui sait. Mais je sais que c’est le tétraèdre qui m’a permis d’exister. C’est tout. »
Un silence lourd s'installa entre eux. Vincent se sentait de plus en plus dépassé par les événements, mais au fond de lui, il comprenait qu'il n'avait pas d'autre choix que de s’adapter. Ce double était peut-être la clé pour résoudre certains des mystères qui entouraient le tétraèdre, les symboles, et tout ce qui semblait s'accumuler autour de lui depuis quelques jours.
« D’accord, » dit finalement Vincent en soupirant. « Kristen, il va falloir que tu le gardes chez toi, comme prévu. On va trouver une solution, mais pour l’instant, je dois comprendre comment fonctionne cet objet. » Il jeta un dernier coup d’œil à son double, toujours perplexe. « Et toi, essaie de ne pas attirer l'attention. On ne sait pas combien de temps tu vas pouvoir rester ici sans que les gens se rendent compte qu’il y a deux Vincent. »
Kristen acquiesça avec un sourire malicieux. « Ne t’inquiète pas, je vais m'occuper de lui. Et honnêtement, c'est un peu excitant tout ça. »
Vincent émit un faible sourire, bien qu’une partie de lui restait angoissée. Ce double pouvait être une bénédiction autant qu’un danger. Tandis qu’ils quittaient la forêt, il se promit de creuser plus profondément dans les secrets du tétraèdre. Il sentait que tout ce qui arrivait autour de lui n’était que la partie visible d’un mystère bien plus vaste.
Le départ pour le Mexique arriva plus vite que prévu, et Vincent s’était préparé à mettre en place son plan audacieux : faire partir son double à sa place. La mise en scène avait été bien orchestrée, enfin… presque. Mélina, sa sœur, l’avait surpris lui et son “clône” à plusieurs reprises avec des vêtements différents à quelques secondes d'intervalle. Elle lui avait lancé un regard perplexe, les sourcils froncés.
Lorsque Fabrice, leur père, appela tout le monde pour monter dans la voiture, le double de Vincent joua son rôle à la perfection, portant une expression sérieuse et un comportement tout à fait habituel. Il s’installa sur la banquette arrière sans éveiller le moindre soupçon. Rosalina lui lança un sourire, satisfaite de l’attitude apparemment docile de son fils, et Fabrice démarra, emportant la famille pour Candelaria.
Vincent resta planté sur le perron de la maison, regardant la voiture disparaître au coin de la rue. Un soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres. Tout s'était déroulé comme prévu, et il allait pouvoir rester à Azuri pour Halloween, la fête d’Alexander, et surtout, continuer ses recherches sur les mystères qui entouraient le tétraèdre.
Cependant, ses bonnes résolutions d’enquêter s’évanouirent rapidement. Avec Kristen, l’obsession pour les mystères laissa vite place à une autre priorité : Parfaire les costumes choisis pour la grande fête d'Halloween organisée par Alexander. L’excitation de cette soirée tant attendue prenait le dessus.
Allongée nonchalamment sur le lit de Vincent, Kristen elle était absorbée par son nouveau téléphone:
“C’est un I-Mode. Tu te rends compte! On peut même aller sur des pages internet et lire ses mails, c’est génial non?”
“Euh tu sais je ne pense pas que ce genre de concept va aller plus loin, il n’y a pas mieux qu’un bon ordinateur pour faire tout ça.” répliqua Vincent.
Kristen souffla puis elle lâcha le téléphone sur le lit, s’étirant de tout son long. Elle avait opté pour un costume de diablesse. Une robe en velours noir, des cornes rouges certies de faux diamants, un smoky eye qui révélait ses grands yeux verts à la perfection, et un trident hyper réaliste qu’elle avait déniché dans une boutique spécialisée.
De son côté, Vincent s'était montré plus créatif et surtout il avait fait avec les moyens du bord, fauché comme à son habitude. « J’ai décidé de me faire un costume de prince des ténèbres post-médiéval, » avait-il annoncé fièrement en agitant une paire de ciseaux. Sa mère lui avait appris à coudre dès son plus jeune âge, et il se débrouillait assez bien pour créer quelque chose d’unique. Le résultat était plutôt impressionnant : un ensemble sombre, élégant, avec des touches de simili cuir et des détails brodés à la main qui donnaient une allure mystérieuse et imposante. Kristen avait été bluffée en voyant la précision du costume, le qualifiant de « chef-d’œuvre couture. »
Alors qu’il passait le haut de son costume, Kristen s’immobilisa brusquement, son regard fixé sur son torse. « Vin, elle est où ta marque ? »
Vincent baissa les yeux vers son corps, perplexe. La marque triangulaire, gravée dans sa peau depuis l'incident dans la Forêt Émeraude, avait disparu. Il passa instinctivement ses doigts sur sa peau nue, cherchant le triangle qui avait jusque-là occupé toutes ses pensées. Il fronça les sourcils, son esprit cherchant désespérément une explication.
« Tu crois que ça a un rapport avec le fait d’avoir trouvé le tétraèdre ? » demanda-t-il en se tournant vers Kristen.
Elle haussa les épaules, un léger sourire amusé sur les lèvres. « Aucune idée. Mais au moins, c’est plus discret. Tu te plaignais tout le temps de cette marque, surtout à l'idée des cours de natation du second semestre. »
Vincent esquissa un sourire nerveux en repensant à sa propre anxiété à l’idée que quelqu’un puisse remarquer cette marque étrange pendant les cours de sport. Kristen, elle, avait déjà prévu d’éviter les cours de natation, gênée par ses rondeurs et la perspective de porter un maillot de bain en public.
« Bon, on y va ? » s’impatienta-t-elle, sautant du lit avec une énergie renouvelée. « La fête nous attend ! »
Vincent, encore perdu dans ses pensées, jeta un dernier coup d’œil à son torse. La disparition de la marque le troublait, mais il décida de mettre ses inquiétudes de côté pour la soirée. Après tout, c’était Halloween, la fête la plus attendue de l’année. « Allons-y, » dit-il finalement en souriant, attrapant sa veste de prince des ténèbres.
Ensemble, ils quittèrent la maison, prêts à rejoindre la fête d’Alexander. Pourtant, au fond de lui, Vincent savait que cette histoire de marque ne serait pas si facile à oublier.
La fête d’Halloween battait déjà son plein chez Alexander. Sa maison, une bâtisse imposante et légèrement en retrait des autres habitations, semblait tout droit sortie d’un vieux film d’horreur. Les grands arbres bordant la propriété projetaient des ombres inquiétantes sous la lueur pâle de la lune, et une brume légère serpentait le long de l’allée menant à l’entrée. Pour l’occasion, la maison avait été métamorphosée en un véritable repaire gothique, accentuant l'atmosphère mystique de cette nuit spéciale.
Des toiles d’araignées artificielles recouvraient les fenêtres, comme si la demeure avait été désertée depuis des siècles, tandis que des citrouilles lumineuses étaient soigneusement disposées le long de l’allée pavée, diffusant une lueur vacillante et inquiétante dans la pénombre. Chaque citrouille était sculptée avec soin, ses yeux maléfiques et ses sourires déformés ajoutant à l’aura d’effroi qui planait dans l’air. L'odeur sucrée des bougies à la cannelle flottait dans l’air, se mêlant à celle plus discrète du bois humide et des feuilles mortes.
En franchissant le seuil de la maison, les invités étaient immédiatement plongés dans un autre monde. À l'intérieur, chaque recoin était orné de décorations macabres : des squelettes plus vrais que nature pendouillaient des poutres, les bras tendus vers les invités comme pour les attraper, tandis que des corbeaux factices ou peut être empaillés, étaient perchés sur les meubles anciens, leurs yeux en perles de verre scintillant sous la lumière des bougies. De faux cercueils en bois étaient disposés ici et là, certains entrouverts, comme si leurs occupants invisibles allaient surgir d’un instant à l’autre.
La lumière tamisée des bougies et des lanternes créait une atmosphère mystérieuse, presque oppressante. Les flammes vacillantes projetaient des ombres mouvantes sur les murs, donnant vie aux silhouettes macabres des décorations. Des guirlandes lumineuses en forme de chauves-souris volaient au-dessus des têtes, tandis que des bruits de chaînes et des cris lointains, issus de haut-parleurs habilement dissimulés, résonnaient dans les couloirs, ajoutant à l’immersion complète des invités dans cette ambiance horrifique.
Alexander, fidèle à son sens du spectacle, avait mis un point d’honneur à ce que chaque détail de la fête soit parfait. L’entrée principale était tapissée de drapés noirs en velours, et des candélabres anciens ornaient les murs, leur lumière tremblotante éclairant à peine les invités déguisés. Des bruits sourds de portes qui claquent, de rires effrayants et de gémissements venaient des coins sombres, plongeant les lycéens dans une ambiance d’angoisse excitante, typique d’Halloween.
Les invités déambulaient d’une pièce à l’autre, certains se pressant autour du buffet où des cupcakes déguisés en têtes de mort et des bonbons en forme de vers de terre étaient disposés, tandis que d’autres se lançaient dans des danses effrénées sous la lumière clignotante des stroboscopes installés dans des pieces qui a elles meme faisaient surement la superficie d’une maison d’un Nouveau Français moyen. La musique, un mélange de tubes actuels et de morceaux plus sombres et oppressants, contribuait à maintenir une tension constante, comme si à tout moment, quelque chose d'effrayant allait se produire.
Les lycéens, vêtus de leurs costumes les plus créatifs, semblaient se fondre parfaitement dans ce décor lugubre. Des vampires, des sorcières, des fantômes et même des démons s’agitaient dans les différentes pièces, leurs rires et leurs cris résonnant dans l’immense demeure. Le son des verres qui s'entrechoquaient, des discussions animées et des exclamations ponctuait l’atmosphère, donnant vie à la maison pourtant figée dans cette ambiance macabre.
Alexander, en hôte attentif, circulait parmi ses invités, jetant des coups d’œil satisfaits à la réaction de ses camarades face à son décor soigneusement élaboré. Les première année n’avaient pas pour habitude d’initier des fêtes, mais son nom était un gage de popularité. Déguisé en vampire, il avait l’air tout droit sorti d’une autre époque, son costume impeccablement choisi pour correspondre à l’aura de la soirée. De plus ses parents étaient en déplacement à Neopolis et il avait carte blanche niveau budget. A savoir si des adultes seraient là pour les surveiller, il y avait toujours le gouvernant et les employés de maison. Le père d’Alexander n’avait imposé qu’une chose, que son fils ne fasse pas la première page de la presse, mais la maison était assez reculée pour que personne ne puisse surprendre quoi que ce soit et il y avait assez d’espace pour que du monde puisse dormir sur place en cas de soucis.
Vincent et Kristen traversèrent la foule d'adolescents déguisés et décorations gothiques pour rejoindre leurs amis dans une ambiance festive. Ils s’approchèrent d'Alexander, le maître des lieux, qui les accueillit avec un sourire éclatant.
Amélie, avec son déguisement de sorcière mystérieuse, se tenait à ses côtés, sa longue cape noire flottant légèrement derrière elle. Ses cheveux blonds, tressés avec des rubans rouges, accentuaient l’atmosphère ensorcelante. « Vous êtes enfin là ! On vous attendait ! » s'exclama-t-elle en voyant Vincent et Kristen arriver. Kristen, dans son costume de diablesse avec ses cornes rouges et son trident, s’avança la première et prit Amélie dans ses bras en riant.
« On n'allait quand même pas manquer la fête la plus cool de l’année ! » répondit Vincent, ajustant sa cape de prince maléfique tout en jetant un regard amusé à son entourage.
Alicia, vêtue d'un ensemble rappelant une fée des ténèbres, se distinguait par l’élégance naturelle qui émanait d’elle. Sa robe noire à facettes, ajustée avec une grâce infinie, épousait parfaitement ses formes tout en restant discrète. Les fines broderies argentées qui parsemaient le tissu brillaient légèrement sous les lueurs tamisées des lanternes, ajoutant une touche presque féerique à sa silhouette. Ses ailes, translucides et finement travaillées, captaient la lumière ambiante à chaque mouvement, projetant de délicats reflets argentés autour d’elle.
En voyant Vincent et Kristen arriver, Alicia les salua d’un geste gracieux, ses mouvements fluides et harmonieux donnant l’impression qu’elle flottait plutôt que de marcher. Son sourire, bien que réservé, illuminait son visage, et elle se pencha légèrement pour embrasser Kristen et Vincent sur la joue, une habitude marquée par sa manière douce et attentive d’être présente pour ses amis. Sa chevelure brune, attachée en un chignon sophistiqué avec quelques mèches libres encadrant son visage, laissait transparaître son élégance naturelle, à la fois délicate et assurée.
Après les avoir salués, Alicia ne tarda pas à se laisser emporter par la musique, enchaînant quelques pas de danse avec une aisance captivante, sans vraiment quitter la piste où elle se trouvait depuis un bon moment déjà. Ses mouvements étaient légers, presque en apesanteur, et chaque geste semblait calculé pour être à la fois subtil et hypnotisant. Elle était comme une extension de la musique elle-même, ses bras et ses jambes se mouvant au rythme des basses profondes et des percussions vibrantes.
Vincent s'arrêta un instant, incapable de détacher son regard d’elle. Il la trouvait tout simplement magnifique, et dans la pénombre de la fête, il y avait quelque chose de presque irréel à la manière dont elle se fondait dans l’atmosphère mystérieuse et gothique de la soirée. Ses ailes scintillantes sous les lanternes diffusaient une lumière douce, presque mystique, qui semblait illuminer non seulement la pièce, mais aussi son visage. Ses traits fins et délicats étaient mis en valeur par la pénombre, et son regard profond et intense ajoutait à cette aura de mystère qui l’entourait.
Chaque sourire qu’elle esquissait, chaque éclat de rire léger qu’elle laissait échapper, faisait naître en Vincent une admiration silencieuse. Son cœur battait un peu plus vite à chaque mouvement gracieux qu’elle exécutait, et bien qu’il tente de se concentrer sur ses propres amis, son regard revenait sans cesse vers elle, captivé par sa beauté et sa grâce.
Il se surprit à la contempler plus longuement que d’habitude, absorbé par la façon dont la lumière effleurait ses joues, par ce regard brillant qui semblait parfois croiser le sien, juste assez pour éveiller en lui une émotion qu'il peinait à nommer. En cette soirée d’Halloween, Alicia n’était pas seulement une fée pour lui : elle incarnait l’élégance, la beauté mystique et cette part d’inaccessible qui le fascinait autant qu’elle l’intimidait.
Evan, toujours un peu plus discret, arriva à son tour avec son appareil photo numérique en main. Il portait un déguisement de loup-garou, avec un masque à moitié relevé sur son front, révélant son visage souriant et détendu. « Parfait, on a besoin de quelques photos de groupe ! » s'exclama-t-il en agitant l’appareil photo.
Tous les amis se rapprochèrent, rires et complicité illuminant leurs visages alors qu'ils se serraient dans les bras pour poser devant l’appareil. Kristen, fidèle à elle-même, brandit son trident vers l’objectif avec un sourire malicieux, tandis que Vincent passa un bras autour d’Alicia et Amélie. Alexander, fidèle à son rôle d’hôte, prit soin d’ajuster la lumière pour que la photo soit parfaite. Evan captura chaque instant, chaque éclat de rire, avec une série de clichés où les masques et costumes faisaient ressortir leur côté festif.
La musique résonnait dans toute la maison, une mélodie entraînante qui faisait vibrer les murs et entraînait les invités dans une frénésie joyeuse. Bientôt, le groupe se laissa porter par les rythmes endiablés et se mit à danser sans retenue. Kristen se déhanchait sans se soucier du monde, son trident brandi dans une parodie de danse démoniaque, tandis que Vincent tournoyait autour d’elle avec des mouvements exagérément théâtraux, jouant parfaitement son rôle de prince des ténèbres.
Alicia et Amélie riaient aux éclats en tentant d’imiter les pas de danse improvisés de Kristen et Vincent, et Alexander, tout en surveillant l’ensemble de la fête, ne put s’empêcher de se joindre à eux pour quelques pas. Même Evan, généralement plus réservé, se fit entraîner dans la danse, son masque de loup-garou toujours sur le front, dégageant un large sourire.
De temps en temps, le groupe s’arrêtait pour immortaliser ces moments de pure insouciance avec l’appareil photo d’Evan. « Encore une, celle-là était floue ! » s’écria-t-il en riant, tentant de capturer des clichés alors que ses amis bougeaient constamment. Les photos de groupe étaient un joyeux mélange de poses absurdes et de rires incontrôlables, chacun essayant de se surpasser pour rendre le moment encore plus mémorable.
La soirée avait formidablement bien débuté. Malgré les mystères et les tensions des dernières semaines, Vincent se sentait détendu, entouré de ses amis, tous plongés dans cette parenthèse festive et insouciante.
Puis Nolan fit son entrée, entouré de son habituel cercle d'amis, tous aussi bruyants et insouciants que lui. Dès qu’il franchit le seuil de la grande pièce décorée, son regard se posa instantanément sur Alicia, comme si tout le reste n’avait aucune importance. Son costume de zombie aristocrate, élégant et sombre, reflétait parfaitement son attitude arrogante et sûre de lui. Ses cheveux soigneusement coiffés en arrière et son sourire suffisant renforçaient cette aura de domination qu’il aimait imposer à son entourage.
D’un geste rapide et possessif, Nolan se fraya un chemin à travers la foule de lycéens déguisés. Il ne perdit pas de temps avant de rejoindre Alicia sur la piste de danse. Sans un mot pour les autres, il lui tendit la main, un geste impérieux qui ne laissait aucune place à l’hésitation. Alicia, bien qu'ayant passé un moment agréable avec ses amis, se laissa entraîner, presque par habitude. Nolan avait toujours eu cette manière de l'accaparer, de la tirer hors du groupe, comme s'il avait besoin de la posséder pleinement, loin des regards indiscrets et des distractions des autres.
Ils se mirent à danser, isolés au centre de la piste, Nolan dominant chaque mouvement. Son bras autour de la taille d’Alicia était presque trop serré, et son sourire, bien que charmeur, avait quelque chose de prédateur. Alicia suivait, silencieuse, ses pas calqués sur les siens, mais Vincent ne pouvait ignorer l’ombre d’inconfort qui passait parfois sur son visage. À chaque tour de danse, chaque pirouette, elle semblait de plus en plus éloignée, non seulement du groupe, mais aussi d’elle-même.
Vincent observait la scène avec un mélange de frustration et de malaise. Assis non loin avec Kristen, il jetait des coups d'œil furtifs en direction de Nolan, tentant de ne pas paraître trop absorbé par la situation. Mais il était impossible pour lui d’ignorer la façon dont Alicia s’éloignait physiquement et émotionnellement de leur groupe chaque fois que Nolan apparaissait. Une tension croissante émanait de Vincent, chaque muscle de son corps tendu, chaque pensée envahie par cette rivalité silencieuse.
Cette rivalité, bien que jamais explicitement énoncée, s'était exacerbée ces derniers temps. Depuis qu’Alicia avait commencé à se rapprocher de Vincent et de leurs nouveaux amis, Nolan semblait s'être transformé en une sorte de gardien jaloux, cherchant à maintenir son emprise sur elle à chaque occasion. C’était presque comme si la jeune femme, en élargissant son cercle social, menaçait l’équilibre fragile de pouvoir que Nolan avait instauré.
Vincent sentait la tension s'intensifier chaque fois que leurs regards se croisaient, même brièvement. Nolan, avec son sourire provocateur et son regard perçant, semblait toujours chercher à défier Vincent, à affirmer son autorité, comme pour rappeler à tout le monde, et surtout à Alicia, à qui elle appartenait réellement. Il y avait dans ces échanges visuels une guerre non déclarée, un duel silencieux que seule Alicia pouvait provoquer, sans même en être totalement consciente.
Kristen, qui n’était jamais très loin de Vincent, percevait également cette tension latente. Elle observait avec attention, prête à intervenir si les choses prenaient une tournure désagréable. Elle connaissait trop bien Vincent pour ne pas comprendre à quel point cette situation le mettait mal à l’aise, le tiraillait entre son désir de rester neutre et celui de protéger Alicia d’un comportement qu’il jugeait de plus en plus oppressant.
Nolan, en revanche, semblait inconscient de la gêne qu’il pouvait susciter. Il continuait de danser avec Alicia, ignorant délibérément les regards de Vincent et de ses amis. Pour lui, tout cela n’était qu’un jeu, une démonstration de pouvoir. Et plus Vincent restait en retrait, plus Nolan se sentait triomphant.
Kristen tapota doucement le genou de Vincent, essayant de dissiper l’ambiance pesante qui régnait autour d'eux. « Allez, détends-toi, je vais nous chercher des verres. Ne bouge pas, » dit-elle avec un sourire faussement détendu.
Kristen se dirigea donc vers la grande table où s’étalaient les différentes boissons. Le punch, les cocktails improvisés, et même quelques bouteilles de soda étaient disposés dans un joyeux désordre. Elle commença à remplir deux verres, prenant son temps, lorsqu’elle entendit un ricanement familier derrière elle. Yann, installé dans un fauteuil avec son éternel groupe de footballeurs et de majorettes, venait de l’interpeller, et son ton narquois laissait présager des ennuis.
« Eh bien, regardez qui voilà ! Kristen la diablesse, tu vas me piquer avec ton trident ? » lança-t-il, son rire gras résonnant à travers la pièce, immédiatement repris par ses complices. Assis confortablement, il arborait ce sourire narquois qu’elle détestait tant, celui qu’il réservait toujours pour elle, lorsqu’il voulait s’assurer d’être au centre de l’attention.
Kristen, qui essayait d'ignorer ces provocations depuis des mois, roula des yeux. Elle était habituée à ce genre de remarques venant de Yann. Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’il tenterait de l’humilier publiquement. Elle leva les yeux au ciel, mais cette fois, elle décida de répliquer. « Pourquoi te péter l’nez la dernière fois ça t’a pas suffi, Yann ? » répondit-elle sèchement, se tournant légèrement vers lui, son trident en main comme pour illustrer sa menace.
Yann, qui s’était déjà frotté à Kristen par le passé et ne s’en était pas bien sorti, se tassa légèrement dans le fauteuil, visiblement mal à l’aise. Ses camarades éclatèrent de rire, moquant la situation, et pour un instant, Kristen crut qu’elle avait gagné. Mais Yann, refusant de se laisser humilier, essaya de reprendre le contrôle de la conversation. Il haussa les épaules d’un air nonchalant, avant de lancer une nouvelle pique, cette fois plus cruelle.
« Laisse tomber, on peut même pas blaguer avec les cachalots dans ton genre, » dit-il avec un faux sourire, espérant faire rire ses amis à ses dépens. Cette fois, le rire des autres fut plus mesuré, mais il était clair qu’ils riaient d’elle, et non plus avec elle. Kristen sentit son cœur se serrer, l’agacement laissant rapidement place à une tristesse qu’elle tenta de dissimuler derrière un masque d’indifférence. Ces blagues sur son physique la poursuivaient depuis si longtemps qu’elles étaient devenues comme une ombre permanente, toujours là, même lorsqu’elle essayait de se montrer forte.
Kristen, profondément blessée, préféra ne rien dire. Elle tourna le dos à Yann et son groupe, décidant qu'ils ne méritaient pas plus de son attention. Ses doigts tremblèrent légèrement tandis qu’elle saisissait les deux verres de punch qu’elle venait de remplir. Elle se força à respirer profondément pour retrouver son calme avant de rejoindre Vincent, qui l’attendait un peu plus loin. Chaque pas qu’elle faisait semblait peser une tonne, mais elle ne voulait pas montrer à quel point les mots de Yann l’avaient affectée.
Vincent, toujours attentif aux émotions de Kristen, remarqua immédiatement son trouble lorsqu’elle revint. Ses épaules étaient un peu plus basses, et son sourire, bien qu’étiré sur ses lèvres, n’atteignait pas vraiment ses yeux. Il fronça les sourcils, inquiet. « Il y a un problème avec cette bande d’attardés ? » demanda-t-il doucement, ses yeux glissant sur le groupe de Yann qui continuait de rire à l’arrière.
Kristen secoua la tête, serrant un peu plus son verre dans sa main. « Non, laisse tomber, » répliqua-t-elle, la voix un peu trop légère pour être sincère. Elle prit une grande inspiration et, tentant de masquer ses émotions, esquissa un sourire forcé. « Allez, tchin, » ajouta-t-elle rapidement en levant son verre pour le heurter contre celui de Vincent.
La soirée avançait, et l'ambiance devenait de plus en plus chaotique. Certains lycéens, trop fatigués ou éméchés, s’étaient affalés dans des coins improbables de la maison d'Alexander, certains endormis sur des canapés, d'autres sur le sol, entourés de boissons renversées et de gobelets vides. L'excitation de la soirée d'Halloween avait laissé place à un mélange de fatigue et de désordre.
Vincent, quant à lui, sortait tout juste de l'un des rares toilettes épargnés par les excès de certains invités. Il souffla de soulagement en pensant à l’état de la maison à la fin de la fête, imaginant déjà le chaos que cela allait laisser derrière. Lorsqu’il revint dans le salon principal, il tomba sur un groupe assis par terre, mené par Alexander, qui animait un jeu d'action ou vérité pour détendre l'atmosphère. Ils riaient bruyamment, cherchant à relancer la soirée d'une manière plus “ludique”.
« Hé, Vincent ! Viens jouer avec nous ! » cria Alexander en lui attrapant le bras avant que Vincent ne puisse répliquer. En un clin d'œil, il se retrouva assis au milieu du groupe, sans vraiment comprendre comment il en était arrivé là. Evan était là aussi, un peu en retrait, visiblement pas très à l'aise avec ce genre de jeux mais trop poli pour refuser l'invitation de ses amis. Alexander, toujours aussi enthousiaste, semblait prendre un malin plaisir à lancer des défis absurdes, tout en assurant une ambiance décontractée.
Alicia et Nolan étaient également présents, assis dans le cercle. Alicia, vêtue de son costume de fée noire, s’amusait visiblement, affichant son sourire radieux tout en jetant des coups d'œil à Vincent. Ce dernier ne put s’empêcher de remarquer cette petite attention. Il tenta de la dissimuler en esquissant un sourire maladroit en retour, mais Nolan, assis à côté d’elle, ne manqua pas de remarquer cet échange. Le sourire de Nolan s'effaça brièvement, laissant place à une lueur de mécontentement dans son regard. Bien que rapide, ce signe d’agacement était évident pour Vincent.
Le jeu démarra doucement, avec des questions et des défis légers pour briser la glace et faire rire les participants. Des confessions anodines et des actions un peu ridicules, mais rien de trop embarrassant. Mais dès que ce fut au tour de Vincent, l’atmosphère changea. Nolan, qui n’avait clairement pas digéré l'attention qu’Alicia portait à Vincent, se redressa légèrement, impatient de le mettre mal à l'aise. C’était une opportunité qu’il ne pouvait pas manquer.
« Allez, Vincent, action ou vérité ? » demanda-t-il avec un sourire sarcastique, le ton lourd de sous-entendus.
Vincent, déjà agacé par l'attitude de Nolan depuis le début de la soirée, sentit une tension monter en lui. Il savait exactement où Nolan voulait en venir et hésita un instant avant de répondre. Finalement, il opta pour la vérité. Il n’avait aucune envie de laisser Nolan le manipuler avec un défi humiliant.
Nolan esquissa un sourire plus large, satisfait de ce choix. Il savait exactement quelle question poser pour embarrasser Vincent. « Très bien, alors dis-nous, est-ce qu’il y a quelqu’un qui te branche dans ce cercle ? »
Le silence tomba immédiatement autour du groupe. Tout le monde savait que cette question était une attaque directe. Les regards se tournèrent vers Vincent, qui soutint celui de Nolan sans ciller. Il savait pertinemment que celui-ci faisait référence à Alicia, et qu’il essayait de le pousser dans ses retranchements. Vincent serra les poings, mais refusa de se laisser déstabiliser.
Après un moment de silence, il répondit calmement : « Non, il n’y a personne qui m’attire ici. » Sa voix était ferme, sans la moindre hésitation.
Mais Nolan n'était pas prêt à laisser tomber si facilement. Son sourire s’élargit encore plus, devenant presque carnassier. « Tu vas pas nous la faire, Vin. Ce 'non' était pas un 'oui' déguisé par hasard ? »
Vincent répéta, cette fois plus fermement : « Non. Il n’y a personne ici qui m’intéresse. »
Nolan, cherchant toujours à le ridiculiser, leva les yeux vers le groupe. « Ok, qui pense que Vincent ment ? » lança-t-il en balayant le cercle du regard, un sourire narquois sur les lèvres.
La majorité du groupe, pris dans le jeu, leva la main, amusée par la situation. Les sourires et les éclats de rire se firent entendre, mais Evan, assis non loin, ne participa pas. Il jetait des regards gênés vers Alicia, visiblement mal à l’aise avec la tournure des événements. Même Alexander, d’habitude si détendu, tenta d'intervenir pour calmer la situation. « Allez, passons à autre chose... » dit-il en souriant maladroitement, sentant que cela risquait de dégénérer.
Mais Nolan ne comptait pas lâcher prise. Il jubilait, sentant qu’il tenait enfin l’occasion de rabaisser Vincent publiquement. « Bon, puisque tout le monde est d’accord pour dire que tu mens, tu dois faire une action, c’est la règle ! »
Vincent, à bout de patience, serra la mâchoire. Il pouvait sentir son irritation monter, mais il se contenait encore. Nolan, conscient de l’état d’esprit de son rival, prit un malin plaisir à annoncer le défi : « Vincent, je veux que tu fasses un French kiss avec Evan. »
Le silence se fit plus pesant. Vincent se raidit immédiatement. Cette fois, c’en était trop. Il pouvait supporter la jalousie et les insinuations mesquines de Nolan, mais s’en prendre à un de ses amis était un coup bas qu’il ne tolérerait pas. Evan, de son côté, devint aussi rouge qu'une tomate, ses yeux s’écartant sous l’effet de la gêne et de l’inconfort. Il n’osait même pas lever la tête, préférant fixer le sol, totalement décontenancé par la situation.
Alicia, assise à côté de Nolan, retira soudainement sa main de la sienne, visiblement déçue de l'attitude de son petit ami. Alexander, sentant la tension monter, se leva immédiatement et déclara d'une voix ferme : « Bon, c’est bon, le jeu est terminé. »
Mais pour Vincent, cela n’était pas suffisant. Il se leva brusquement, sa patience ayant atteint ses limites. Son regard glacial se posa sur Nolan, et pour un instant, l'atmosphère sembla se figer autour d'eux. Vincent savait que Nolan était rongé par une jalousie infondée. Même si Vincent avait effectivement des sentiments pour Alicia, il n’était en aucun cas une menace.
Sans un mot, Vincent quitta le cercle. La soirée, autrefois légère et festive, venait de prendre une tournure bien plus sombre.
Pendant que la fête battait son plein, Kristen dansait avec Amélie sur la piste improvisée, les rires et les mouvements des autres invités créant une énergie électrique autour d’elles. La musique pulsait, et les lumières tamisées, mêlées aux décorations d’Halloween, donnaient à la scène une ambiance presque irréelle. Kristen, essoufflée par l'intensité de la danse, fit un signe à Amélie pour lui indiquer qu'elle avait besoin de prendre une pause.
« Je vais me poser un peu, » dit-elle en haletant, un sourire amusé aux lèvres. Amélie acquiesça en retour, continuant de se mouvoir au rythme de la musique tandis que Kristen s'éloignait de la foule dansante.
Cherchant un endroit tranquille, elle repéra un canapé près de la cheminée, dans une alcove retirée de la plupart des regards. Elle s’y installa avec un soupir de soulagement, observant la pièce autour d’elle. Les invités s'étaient dispersés dans les différentes salles de la maison d’Alexander, profitant de l’ambiance ou discutant en petits groupes. Le crépitement du feu dans la cheminée créait une atmosphère apaisante, mais ce répit fut de courte durée.
Yann, celui qui avait passé une partie de la soirée à se moquer d’elle, s’approcha lentement. Il s’était tenu à l'écart après ses remarques désobligeantes, mais son attitude semblait avoir changé. Il n’avait plus ce sourire narquois qui l’avait accompagné tout au long de la soirée. Au contraire, son visage affichait une douceur surprenante, presque mielleuse.
« Hé, Kris, » dit-il en s'asseyant lourdement à côté d’elle, l’air décontracté. « Alors, tu t’amuses bien ? » demanda-t-il avec un ton qui se voulait charmant, tout en se rapprochant légèrement.
Kristen, méfiante, tourna légèrement la tête pour le regarder du coin de l'œil. Yann n'était pas quelqu'un qu'elle appréciait particulièrement, surtout après toutes les moqueries qu'il avait lancées à son égard ce soir. « Oui, ça va, » répondit-elle d’une voix monotone, gardant une certaine distance.
Mais Yann ne semblait pas vouloir en rester là. Il s’installa plus confortablement en regardant autour de lui comme s’il s'apprêtait à faire une mauvaise action qu’il voulait cacher. Il posa alors son bras sur le dossier du canapé derrière elle. Kristen, de plus en plus mal à l’aise, le regarda avec méfiance. « Tu sais, » commença-t-il, un sourire flottant sur ses lèvres. « T’es vraiment pas mal ce soir... avec ton petit costume et tout. »
Kristen fronça les sourcils. C’était inattendu. Yann, habituellement si moqueur et provocateur, prenait maintenant un ton séducteur qui ne collait pas à l’image qu’elle avait de lui. « Euh... merci ? » répondit-elle, sur un ton sec, visiblement décontenancée par cette approche.
Cependant, Yann, ignorant son malaise, se pencha un peu plus près, essayant de poser une main sur son épaule. « Tu sais, je pense qu’on pourrait bien s’entendre, toi et moi, » ajouta-t-il, dans une tentative maladroite de se rapprocher encore plus tout en avançant ses lèvres près de celles de Kristen.
Mais Kristen, choquée par ce geste, se tendit. L’espace d’un instant, elle fut figée par la surprise. Yann, qui la harcelait de moqueries tout au long de la soirée, tentait maintenant de l’embrasser ? C’en était trop. Sans réfléchir, elle le repoussa violemment, le faisant presque tomber du canapé.
« Mais ça va pas, Yann ?! » s’écria-t-elle, furieuse, ses yeux lançant des éclairs. « T’es qu’un gros crétin ! »
Yann, complètement pris au dépourvu par la réaction de Kristen, recula maladroitement, se redressant tant bien que mal. Il avait clairement sous-estimé sa réaction. « Eh, calme-toi... je rigolais juste, c’est tout, » marmonna-t-il, visiblement gêné et essayant de sauver la face après avoir été repoussé.
Mais Kristen, toujours furieuse, se leva brusquement, attrapant son trident avec une poigne ferme. « Rigoler ? » répliqua-t-elle avec colère. « Tu crois que tu peux retourner ta veste comme ça et que je vais te laisser faire ? »
Yann balbutia quelque chose, mais Kristen ne lui prêta aucune attention. Elle tourna les talons avec dignité, sa fierté intacte, et quitta la pièce, laissant Yann seul, embarrassé, sous le regard curieux de quelques invités qui avaient assisté à la scène.
En s’éloignant, Kristen sentait la colère bouillir en elle, mais elle refusait de laisser ce moment lui gâcher la soirée. Elle se dirigea directement vers Vincent, qui se trouvait non loin de la piste de danse. En voyant l’expression fermée de son amie, il comprit immédiatement que quelque chose s’était passé.
« Tout va bien ? » demanda-t-il, son regard passant rapidement de Kristen à la direction d’où elle venait.
Kristen soupira, essayant de maîtriser sa frustration. « Yann a encore fait le gros lourdaud. Mais je l’ai remis à sa place, t’en fais pas, » répondit-elle, le ton amer.
Vincent serra les mâchoires, son regard se durcissant. Il se tourna légèrement dans la direction où se trouvait Yann, prêt à aller lui dire sa façon de penser. Entre lui et Nolan, cette soirée était devenue plus que pesante. Mais Kristen l’arrêta en posant une main sur son bras. « Laisse tomber, Vin. Ça ne vaut pas la peine de gâcher la soirée pour ce naze. »
Vincent hésita un instant, toujours en proie à la colère. Mais il respecta la volonté de Kristen et hocha la tête, prenant une profonde inspiration pour se calmer.
Kristen fit un léger sourire à Vincent, cherchant à alléger l’atmosphère malgré tout ce qui venait de se passer. « Allez, viens, on va danser. Je ne vais pas laisser un type comme Yann ruiner cette fête, » dit-elle avec un ton résolu. Elle attrapa son trident d’un geste décidé, se forçant à laisser de côté l’incident avec Yann, et se dirigea vers la piste de danse en entraînant Vincent avec elle.
Mais alors qu’ils s'apprêtaient à rejoindre le centre de la piste, quelque chose d'inattendu se produisit. Alexander, qui dansait avec Amélie non loin de là, avait vu toute la scène entre Kristen et Yann. L'air sombre, il ne put contenir sa colère plus longtemps. Sans prévenir, il s’approcha de Yann, le visage fermé de détermination, et l'attrapa violemment par le col de son costume, le poussant contre le mur avec force.
« Tu sais quoi, » grogna Alexander en le maintenant fermement contre le mur. « T’en as assez fait. Dégage, la soirée est finie pour toi. »
Yann, pris de court, écarquilla les yeux de surprise avant que la colère et la vexation ne s'installent sur son visage. Il essaya de repousser Alexander, mais celui-ci ne lui laissa pas le temps de réagir. Des murmures traversèrent la foule qui s'était soudainement arrêtée de danser, formant un cercle autour d'eux. Tous les invités regardaient la scène, certains choqués, d'autres, secrètement satisfaits de voir quelqu'un remettre Yann à sa place.
Kristen, en voyant l’altercation, accourut immédiatement vers Alexander, suivie de près par Vincent. Elle se glissa à travers la foule et se précipita vers les deux garçons, son visage empli d'inquiétude.
« C’est bon, Alex, » dit-elle, tentant de calmer les choses, sa voix douce mais ferme. « Il n’en vaut pas la peine, vraiment. »
Alexander tourna lentement la tête vers elle, son regard toujours chargé de colère. Il relâcha légèrement son emprise sur le col de Yann, mais ses poings restèrent serrés et son expression trahissait son envie de continuer.
« Il a dépassé les bornes, Kristen, » répondit-il, sa voix grave trahissant une fureur contenue. « Il ne peut pas s’en tirer comme ça. »
Kristen hocha doucement la tête, reconnaissante de la défense d’Alexander, mais elle ne voulait pas que la situation dégénère. « Je sais, Alex. Mais ce n’est pas la peine d’aller plus loin. Laisse-le partir. » Son regard croisa celui de Vincent, qui acquiesça silencieusement. Il respectait l’approche calme de Kristen, mais il voyait bien que toute cette situation pesait sur elle.
Alexander, toujours courroucé, finit par lâcher le col de Yann avec un geste brusque, mais son regard restait dur. « Tu gicles, » réitéra-t-il d’un ton ferme, sans donner à Yann la moindre chance de répliquer.
Yann, visiblement vexé d'avoir été humilié devant tout le monde, fronça les sourcils. Il s’essuya le col d'un geste brusque avant de lancer un regard noir à Alexander. « C’est bon, j’me casse. Reste avec tes loosers, » cracha-t-il avec mépris avant de tourner les talons et de disparaître dans la foule, poussant au passage quelques invités sur son chemin.
Le silence qui avait envahi la salle fut rapidement brisé par des murmures et des chuchotements alors que la musique reprenait doucement. Les lycéens, soulagés de voir l'altercation se terminer, retournèrent progressivement à leurs activités, mais la tension flottait toujours dans l'air. Vincent, qui observait la scène de près, posa une main sur l'épaule de Kristen. « Tu vas bien ? » demanda-t-il doucement.
Kristen hocha la tête, un sourire fatigué aux lèvres. « Oui, merci... Je suis juste fatiguée de ce genre de situations, » avoua-t-elle. Elle jeta un coup d’œil à Alexander, qui soufflait lentement pour se calmer. « Merci, Alex, mais il ne fallait pas te donner autant de mal. Yann est juste un idiot... »
Alexander haussa les épaules, encore agité. « Ce genre de type mérite qu’on le remette à sa place. Tu méritais mieux que ça. »
Kristen soupira et esquissa un léger sourire, touchée par le soutien de ses amis. « Vous êtes trop gentils, tous les deux, » dit-elle en regardant Vincent et Alexander tour à tour. Sa méfiance envers Alexander semblait de plus s’être évaporée face à son geste. Puis, d’un ton plus léger, elle ajouta : « Mais maintenant, si vous voulez bien m'excuser, j’ai une fête à finir ! »
Elle brandit son trident avec un air espiègle, tentant de détendre l'atmosphère. Vincent et Alexander échangèrent un sourire complice avant de la suivre sur la piste de danse, où Amélie et Evan les attendaient déjà.
Malgré l’incident, la soirée continua, et tous firent de leur mieux pour oublier l'altercation avec Yann.
Le lendemain matin fut marqué par un réveil difficile pour le groupe d'amis. La fête de la veille, aussi festive qu'épuisante, laissait ses traces. Les employés de maison s’affairaient déjà dans la demeure d’Alexander, remettant en ordre ce qui pouvait l’être après une soirée mouvementée. Des confettis éparpillés dans les moindres recoins aux verres abandonnés un peu partout, chaque pièce portait encore les marques d'une soirée d’Halloween réussie, mais chaotique. Le manoir, habituellement impeccable, ressemblait à un champ de bataille après la tempête.
Alex, l’hôte de la soirée, n’avait même pas pu passer la nuit dans sa propre chambre. Deux tourtereaux, probablement un peu éméchés, s’étaient enfermés à l’intérieur et n’avaient pas bougé jusqu'au petit matin. Fatigué et sans énergie pour leur faire quitter les lieux, il avait dû trouver refuge sur l'un des canapés du grand salon, un coussin en guise d'oreiller.
Pendant ce temps, dans un coin plus calme du salon, Alicia s’était assoupie sur les cuisses de Kristen. Son maquillage sombre et élégant de la veille avait coulé, lui donnant un air de fée déchue. Ses collants, autrefois parfaits, étaient désormais effilés à plusieurs endroits, signe des longues heures passées à danser et à déambuler dans la maison. Kristen, quant à elle, se réveilla avec les jambes complètement engourdies, ne pouvant bouger sans réveiller Alicia, qui dormait encore profondément, malgré le bruit ambiant.
Elles commencèrent à chuchoter doucement en échangeant des sourires complices. « J’ai plus de jambes… » murmura Kristen en souriant, tout en tentant de bouger sans déranger Alicia, qui se redressa lentement, les cheveux en bataille et les yeux encore mi-clos.
« Désolée... je crois que je me suis endormie sur toi, » murmura Alicia en riant doucement, essayant d'ajuster ses collants abîmés, mais n’y parvenant pas.
Kristen haussa les épaules en souriant : « C’est rien, je te laisse la prochaine fois, promis ! » Elles échangèrent un regard amusé avant de se lever doucement, leurs muscles encore fatigués de la soirée passée à danser.
Nolan, quant à lui, avait quitté la soirée bien avant la fin, sans un mot, laissant Alicia derrière lui. Depuis l’incident lors du jeu d’action ou vérité, les tensions entre eux s’étaient intensifiées. Alicia lui avait fait la tête après la manière dont il avait agi, et Nolan, visiblement blessé dans son orgueil, avait préféré partir plutôt que d'affronter la situation. Il n’avait même pas cherché à retrouver Alicia avant de quitter la fête, et personne ne s'était vraiment inquiété de son départ abrupt. Vincent, qui avait observé la scène de loin, ressentait un malaise grandissant face à cette dynamique compliquée entre Nolan et Alicia.
De leur côté, Evan et Amélie, assis non loin sur un canapé, avaient trouvé un moyen de prolonger l’amusement. Les deux amis riaient en regardant les photos prises pendant la soirée avec l’appareil numérique qu’Evan avait amené. Ils passaient en revue les clichés immortalisant des moments aussi drôles qu’embarrassants. Des grimaces spontanées aux poses exagérées, chaque photo racontait une histoire.
« Regarde celle-là ! » s'exclama Amélie, montrant une image d'Alexander tentant maladroitement de grimper sur une table pour faire un discours, ses jambes fléchissant sous le poids de l’épuisement et de l'alcool. Evan éclata de rire en voyant l’expression confuse d’Alexander sur la photo. « Il avait vraiment l’air d’un roi déchu, c’était grandiose ! » ajouta-t-il.
Kristen, entendant les éclats de rire d’Evan et Amélie, se tourna vers eux, curieuse. « Vous avez pris combien de photos, sérieux ? »
Evan, les yeux encore brillants de rires, répondit : « Assez pour avoir de quoi faire du chantage à tout le monde pendant les dix prochaines années. » Amélie hocha la tête en riant, avant de montrer à Kristen une autre photo, cette fois d’Alicia, en pleine danse, ses ailes de fée noire scintillant sous les lumières tamisées. « Celle-là, elle est plutôt cool. »
Alicia, qui se rapprochait, jeta un coup d’œil à l’écran. « C’était juste avant que mes collants ne craquent, » dit-elle en souriant, essayant de remettre de l’ordre dans ses cheveux désordonnés.
Vincent quant à lui était déjà réveillé depuis un moment. Il observait les braises de la cheminée vacillant à peine tandis qu’un employé vint pour la rallumer. Il n’avait pas bu d’alcool, enfin pas volontairement, mais il ressentait une étrange sensation. C'était comme si une vibration subtile parcourait son corps, une sorte de frémissement à peine perceptible, mais qui le mettait mal à l'aise. Il secoua la tête, tentant de l'ignorer, mais cette sensation persistait, grandissant en intensité.
Pendant que ses amis continuaient à discuter et à se remémorer les moments forts de la soirée, Vincent se sentit soudainement désorienté. Un vertige le prit, comme s'il était en décalage avec son propre corps. Ses yeux se posèrent instinctivement sur l’endroit où son double devait être, là-bas, au Mexique avec ses parents, mais il n’en avait plus la certitude. Tout se brouillait dans son esprit, comme si les deux Vincent commençaient à se superposer, leur existence se mélangeant momentanément.
Le monde autour de lui vacilla, et pendant une fraction de seconde, Vincent ne fut plus là, dans le salon du manoir d’Alexander. Il se retrouva dans un lieu étranger : la chaleur écrasante du Mexique l’entoura, le soleil brûlant de Candelaria frappant ses yeux. Son père, Fabrice, riait au loin avec des cousins qu’il ne connaissait qu’à peine, et sa mère, Rosalina, discutait avec des membres de la famille. Vincent pouvait entendre leur conversation comme si elle se déroulait tout près de lui, et pourtant... il n'était pas vraiment là.
Il baissa les yeux sur son propre corps et réalisa qu'il portait les vêtements de son double. Ce n’était pas possible. Un sentiment de panique monta en lui. Puis, tout aussi brusquement, le décor disparut, et il se retrouva de nouveau dans le manoir d’Alexander, son cœur battant à tout rompre.
Personne autour de lui n’avait semblé remarquer le changement. Ses amis riaient toujours, mais Vincent, lui, se sentait glacé.
Kristen, assise à côté de lui, le regarda, sentant le malaise. « Ça va, Vin ? T’as l’air pâle. »
Vincent cligna des yeux, encore désorienté, incapable de répondre immédiatement. La sensation était partie aussi rapidement qu'elle était venue, mais elle laissait une trace d'angoisse en lui. Il tenta de sourire, mais son esprit bouillonnait de questions. Que venait-il de se passer ? Son double, censé être loin d’ici, avait-il vraiment échangé sa place avec lui, même pour un court instant ? Et si c'était le cas... pourquoi ?
« Ouais, tout va bien, » mentit-il, essayant de reprendre son calme. Mais au fond de lui, il savait que quelque chose n’allait pas.
Kristen lui lança un regard sceptique, mais avant qu’elle ne puisse insister, Amélie les rejoignit, attirée par les éclats de rires d’Evan. La tension se dissipa rapidement, mais Vincent restait sur ses gardes, ses pensées se bousculant.
Il jeta un coup d'œil rapide à son téléphone, se demandant si le double de Vincent au Mexique avait ressenti la même chose. Puis il secoua la tête, se levant pour rejoindre les autres. Mais tandis qu’il s’éloignait, il savait que ce n’était que le début. Ce court instant, ce « bug », n’était qu’un signe avant-coureur de quelque chose de bien plus grand. Et cette fois, il ne pourrait pas l’ignorer.