Chapitre 4 - Inquiétante rencontre

Vincent reprit lentement conscience, les yeux lourds, dans l’obscurité familière de sa chambre. Il sentait le drap frais contre sa peau, le poids de son corps encore engourdi après ce qui semblait être un sommeil profond et perturbant. Sa tête tournait légèrement alors qu’il se redressa doucement, ses pensées encore embrouillées par les souvenirs de l'après-midi. Son regard se posa sur le réveil numérique posé sur sa table de nuit. Les chiffres rouges affichaient 17h00, un horaire inhabituel pour se retrouver au lit. Il fronça les sourcils, déconcerté par l'idée d'avoir perdu autant de temps. Ce n’était pas normal. Pourquoi était-il ici, dans son lit, à une heure aussi tardive ?

 

Pendant un moment, il resta immobile, fixant le réveil comme s’il cherchait à y trouver une réponse, le tic-tac silencieux résonnant dans la pièce vide. L'étrange sentiment d’irréalité ne le quittait pas. Sa tête était encore embrumée par les souvenirs confus de ce qu'il avait vécu plus tôt, dans la forêt. Les événements de cet après-midi lui paraissaient lointains, comme s'ils appartenaient à un rêve fugace dont il ne parvenait pas à saisir tous les détails. C’était comme essayer de retenir du sable dans ses mains : les souvenirs glissaient entre ses doigts à mesure qu'il essayait de se rappeler ce qu'il avait réellement vu et ressenti.

 

Avait-il vraiment aperçu cet arbre gigantesque, ses racines imposantes ancrées dans la terre ? Avait-il vraiment vu ces symboles mystérieux gravés dans l'écorce, émettant cette lueur inquiétante ? Ou tout cela n'était-il qu'une illusion née de son imagination débordante, un fantasme tissé par son esprit en quête de réponses ? Les images, bien que floues, persistaient néanmoins dans son esprit, comme des fragments d'un rêve qu'il ne parvenait pas à totalement oublier.

 

À ce stade, il n’était plus sûr de rien. Ses pensées tournaient en boucle, essayant désespérément de démêler la réalité de l'imaginaire. Pourtant, au milieu de ce tourbillon d'incertitudes, une seule chose était claire : quelque chose en lui avait changé. Il ne pouvait l'expliquer, mais il le sentait, dans chaque fibre de son être. Une énergie nouvelle circulait dans son corps, une force étrange, comme si son esprit s'était soudainement éveillé à une dimension dont il ignorait l'existence jusque-là. Il se sentait plus alerte, plus conscient du monde qui l'entourait, comme si chaque détail, chaque sensation, s'était amplifié.

 

Il baissa les yeux vers son torse, là où une étrange chaleur persistait. La marque…

Pris d’une soudaine angoisse, Vincent se précipita vers le grand miroir accroché près de l’entrée de sa chambre. Chaque pas résonnait lourdement dans le silence, tandis qu'une douleur lancinante montait au-dessus de sa poitrine, comme une brûlure vive et insistante. Cela ne ressemblait en rien à ce qu’il avait ressenti auparavant, et l'intensité de la sensation ne faisait que renforcer la panique qui s'emparait de lui. C’était réel. Ce n’était pas un simple malaise passager ou le fruit de son imagination. Cette douleur, cette chaleur, c’était quelque chose de tangible, quelque chose qui venait de l’intérieur.

 

Arrivé devant le miroir, il s'arrêta net, ses mains tremblantes déjà prêtes à soulever le bas de son t-shirt. Sans perdre une seconde, il l’enleva d’un geste rapide, révélant son torse nu face à son propre reflet. Ses yeux se posèrent aussitôt sur l’endroit précis où il sentait la brûlure, juste au-dessus de sa poitrine. Ce qu’il vit le laissa sans voix. Ce n’était pas possible… Pas ça.

 

Gravé dans sa peau, comme s’il faisait partie intégrante de son être, un triangle parfaitement dessiné apparaissait, les lignes épaisses et régulières formant un symbole qu'il n’avait jamais vu auparavant. Deux lignes d’épaisseur, profondes mais étrangement nettes, comme si elles avaient été inscrites par quelque force invisible, se démarquaient sur sa chair. Vincent ne pouvait détacher son regard de cette marque. Elle ne pouvait pas être le produit de son imagination. Tout cela était trop précis, trop réel.

 

Il passa doucement ses doigts tremblants sur les lignes du triangle, comme pour s'assurer qu'il ne rêvait pas, mais la sensation de chaleur sous ses doigts confirmait la réalité de ce qu'il voyait. Ce symbole, cette étrange marque, était bien là, ancré dans sa peau, dans sa chair. Il n'avait aucune idée de ce qu'elle signifiait, mais une chose était claire : cela lui était réellement arrivé. Il n’y avait plus de place pour le doute. Cet événement n’était pas un rêve, ni une illusion. C’était une partie de lui, une marque indélébile de quelque chose de plus grand, quelque chose qu'il n’avait pas encore commencé à comprendre.

 

Vincent inspira profondément, essayant de calmer le tumulte qui grondait en lui. Ce triangle… qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ?

 

Il remit son t-shirt.  Il n’y avait personne à la maison, tout le monde était encore au travail et pendant ce temps, à la station-service, Rosalina vivait une journée qui allait bientôt prendre un tournant inquiétant.

 

Tout le monde connaissait Rosalina à Azuri, et pas seulement pour son travail à la station-service. Elle était l'incarnation de la douceur et de la joie de vivre, toujours prête à offrir un sourire ou un mot gentil à ceux qu'elle croisait. Sa présence chaleureuse, presque lumineuse, contrastait avec la monotonie de la station-service, un lieu souvent banal où le quotidien passait sans éclat. Mais Rosalina avait cette capacité rare de rendre chaque interaction spéciale, qu'il s'agisse de ses clients réguliers ou de simples passants.

 

Les habitants de la ville l'adoraient. Elle avait une réputation bien méritée de femme généreuse et bienveillante, capable d'illuminer la journée de n'importe qui par un simple regard ou une phrase pleine d'empathie. Ses éclats de rire étaient reconnaissables entre mille, résonnant souvent à travers la petite station-service comme une musique douce, apportant une touche d’humanité à cet endroit plutôt modeste. On disait même qu’il suffisait de passer quelques minutes avec elle pour sentir son humeur s’améliorer.

 

Rosalina était également connue des étrangers, ceux qui ne faisaient que traverser la ville. La station-service se trouvait à la sortie nord d'Azuri, juste après le grand panneau bleu indiquant "Bienvenue à Azuri". C’était le premier arrêt pour les voyageurs qui entraient dans cette petite ville nichée entre la montagne et la mer. Sa position en faisait un point de passage presque incontournable, et nombreux étaient ceux qui s'arrêtaient pour se ravitailler avant de poursuivre leur route. Rosalina devenait ainsi le premier visage qu'ils rencontraient à Azuri, et souvent, le souvenir qu’ils en gardaient.

 

Les routiers et les touristes se rappelaient d'elle avec tendresse. « La dame au grand sourire », disaient-ils parfois, en parlant de la femme qui, entre deux services, échangeait quelques paroles avec eux sur la route, le voyage, ou la beauté des paysages environnants. Sa manière naturelle de s’intéresser aux autres, de les écouter, la rendait inoubliable. Et pour ceux qui revenaient à Azuri après de longs voyages, la revoir à la station-service leur donnait toujours cette sensation familière d'être enfin rentrés chez eux, même s’ils n’étaient que de passage.

 

Alors qu'elle s'apprêtait à ranger quelques articles sur les étagères, la clochette de la porte d’entrée tinta, annonçant l'arrivée d'un client. Rosalina, habituée aux allées et venues de la clientèle locale et régulière, leva les yeux par réflexe, mais ce qu'elle vit la figea sur place.

 

Un homme d'une quarantaine d'années, vêtu d’un long manteau noir usé, se tenait dans l’encadrement de la porte. Sa silhouette mince et droite donnait une impression presque fantomatique. Ses cheveux, sombres et légèrement grisonnants sur les tempes, étaient ébouriffés comme s’il venait de traverser une tempête. Mais ce qui glaça Rosalina, c’était son regard. Ses yeux, d’un gris terne presque métallique, la fixaient avec une intensité qui semblait percer jusqu’à son âme. Ils étaient creux, comme dénués d’émotion, mais chargés d'une étrange détermination.

 

L’homme s’avança d’un pas lent et calculé, chacun de ses mouvements semblant soigneusement mesuré. Rosalina sentit une montée de malaise s'emparer d'elle. Il y avait quelque chose de profondément troublant chez cet inconnu, comme s’il appartenait à un autre monde.

 

« Bonjour, je peux vous aider ? » demanda-t-elle, sa voix trahissant son anxiété malgré ses efforts pour rester professionnelle.

L’homme ne répondit pas immédiatement. Il continuait de la fixer, ses yeux scrutant chaque détail de son visage, comme s'il cherchait quelque chose de précis en elle. Lorsqu'il ouvrit enfin la bouche, sa voix était basse, grave, et avait un ton presque hypnotique.

 

« Je cherche l’Élu. Savez-vous où il est ? »

Rosalina, décontenancée, fronça les sourcils. Il y avait une froideur dans sa voix qui la mettait mal à l'aise. Elle secoua la tête, un frisson parcourant sa nuque. « L’Élu ? Vous devez faire erreur. Je ne sais pas de quoi vous parlez. »

L’homme plissa légèrement les yeux, son regard devenant encore plus perçant. Il semblait peser ses mots avant de reprendre. « Vous êtes sûre ? L’Élu doit être trouvé. C’est... vital. »

Il s’avança d’un pas, réduisant la distance entre eux, et Rosalina sentit son cœur s’emballer. L’atmosphère s'était épaissie, comme si l'air autour d'eux était devenu plus lourd, presque palpable.

D’instinct, elle recula d’un pas, cherchant désespérément un moyen d’échapper à cette situation de plus en plus oppressante. « Je suis désolée, je ne peux pas vous aider. Vous devriez partir. »

L’homme resta immobile, la dévisageant encore un moment, puis un sourire imperceptible, mais glacé, étira brièvement ses lèvres. Il acquiesça lentement, presque théâtralement, avant de tourner les talons et de quitter la boutique sans un mot de plus.

Rosalina, tremblante de tout son corps, s'empressa de verrouiller la porte derrière l'homme. Ses doigts, encore engourdis par la peur, luttèrent un instant pour faire tourner la clé dans la serrure, comme si le simple fait d’assurer sa sécurité demandait un effort surhumain. Le déclic métallique résonna dans la petite station-service, mais il ne parvint pas à apaiser la tempête qui grondait en elle. Son cœur battait à un rythme effréné, comme s'il cherchait à s'échapper de sa poitrine. Chaque pulsation résonnait dans ses tempes, et une sueur froide perla lentement sur son front, glissant le long de sa tempe avant de disparaître dans son cou.

 

Elle posa une main tremblante sur sa poitrine, essayant de calmer sa respiration, mais rien n'y faisait. L’air semblait lourd, presque suffocant, comme si l’homme avait laissé une trace invisible de sa présence. Ce n'était pas simplement la peur d'un inconnu : c’était quelque chose de plus profond, de plus viscéral, une angoisse qui la rongeait de l’intérieur, l’empêchant de retrouver son calme habituel.

 

Lentement, comme si elle craignait encore de croiser son regard, Rosalina jeta un coup d'œil par la fenêtre, à travers le verre embué de ses propres respirations rapides. Le parking de la station-service était désert, baigné dans la lumière blafarde des lampadaires. Il n'y avait plus aucune trace de l'homme. Pas un mouvement, pas une ombre. C’était comme s’il s’était évaporé, comme s’il n’avait jamais été là. Pourtant, la sensation de son regard froid, presque inhumain, continuait de la hanter, comme si ses yeux métalliques la fixaient encore, même à distance. Elle essaya de se convaincre que tout cela n'était qu'une hallucination passagère, mais son corps refusait de croire à cette explication.

 

Le silence soudain qui régnait autour d'elle lui parut encore plus oppressant. Habituellement, elle aimait cette tranquillité de fin de journée, quand la station se vidait et que seuls les bruits lointains des voitures qui passaient sur la route se faisaient entendre. Mais cette fois, ce silence avait quelque chose d'anormal, de pesant. Rosalina se sentait observée, traquée même, comme si l'homme pouvait revenir à tout moment, surgir de l'ombre sans qu'elle ne s'en aperçoive.

 

Mais pourquoi ? Pourquoi cet homme s’était-il présenté ici, en pleine journée, avec ces questions étranges sur "l’Élu" ? Pourquoi elle, pourquoi cette station ? Ces mots résonnaient en boucle dans son esprit. Elle repassait la scène encore et encore, cherchant un sens à ce qu’elle venait de vivre. Qui était cet "Élu" qu’il cherchait avec une telle intensité ? Était-ce une sorte de délire, une folie passagère ? Pourtant, l'homme ne lui avait pas paru fou. Non, il y avait quelque chose de calculé dans ses paroles, dans ses gestes. Une froideur maîtrisée qui la mettait mal à l'aise. Et ce regard... Ce regard qui semblait sonder son âme, comme s'il connaissait quelque chose d'elle qu’elle-même ignorait.

 

Rosalina frissonna. Elle n’arrivait pas à se débarrasser de cette impression qu’il savait quelque chose, un secret enfoui, quelque chose qu’elle-même n’avait peut-être jamais compris. Était-il réellement parti ? Ou était-il simplement caché quelque part, l'observant à distance ? Chaque petit bruit la faisait sursauter, comme si un danger imminent rôdait tout près d’elle. Le calme qu’elle s’efforçait d’imposer à ses gestes n’était qu’un masque fragile, prêt à se fissurer au moindre frémissement.

 

Elle se força à se concentrer, à reprendre ses esprits. Après tout, peut-être que ce n’était rien. Peut-être que cet homme avait réellement fait erreur, qu’il cherchait quelqu’un d’autre. Mais pourquoi cette impression persistante que tout cela la concernait, elle, et pas quelqu’un d’autre ? Ce questionnement la rongeait, s’accrochant à son esprit comme un poison lent. Il fallait qu’elle se ressaisisse, mais cette simple idée la dépassait.

 

Rosalina inspira profondément, tentant de se convaincre que l’air était plus léger, que tout était revenu à la normale. Mais l’angoisse refusait de la quitter. Elle jetait sans cesse des coups d'œil vers la porte, guettant le moindre signe d’un retour, le moindre son qui confirmerait ses craintes. L'ombre de l'homme planait toujours sur elle, intangible mais bien présente, comme un fantôme venu lui rappeler que certains mystères ne se dissipent pas aussi facilement.

 

De retour chez lui, Vincent trouva sa mère encore secouée. Quand elle le vit, un sourire s'afficha sur son visage. Mais le jeune homme connaissait sa mère et lui demanda si tout allait bien.

« Tout va bien, maman ? » demanda Vincent, inquiet.

« Oui, mon chéri, tout va bien. Juste une journée un peu stressante, » répondit-elle avec un sourire forcé.

Vincent n'insista pas, mais il ne pouvait se débarrasser de l'inquiétude qui grandissait en lui. Il hésitait pourtant à se confier à sa mère ou encore sa soeur, mais il ne savait pas comment elles réagiraient. 

 

Plus perdu que jamais il se dit que Kristen ne le jugerait certainement pas. Il savait qu'il devait lui parler de ce qu'il avait découvert. Ensemble, ils pourraient peut-être démêler les fils de ce mystère.

 

Vincent s’installa alors devant son ordinateur mais la connexion internet n'était pas stable, comme à son habitude. Le petit icône d'un globe terrestre clignotait désespérément en bas à droite de l'écran, rappelant à Vincent que rien n'était jamais simple chez eux. Contrairement à la plupart de ses camarades de classe, qui parlaient d’ADSL et de connexions rapides, chez Vincent, accéder à internet relevait presque de l'improvisation. Il fallait monter tout un système de fortune pour capter un signal, et même à ce moment-là, rien n’était garanti.

 

Pour avoir internet, une vieille antenne, dénichée Dieu sait où, était reliée à l’ordinateur par un câble qui serpentait le long du bureau jusqu’à la fenêtre de la chambre. L'antenne, posée sur une boîte de couscous usée, trônait près du rebord de la fenêtre, captant tant bien que mal un réseau Wi-Fi d’un voisin qui ne semblait pas s’en apercevoir. Cette boîte de couscous avait vu de meilleurs jours, mais depuis que Fabrice l’avait improvisée en support, elle était devenue un élément clé du « système internet » familial. Il suffisait de déplacer l’antenne d’un millimètre pour tout faire basculer dans l’obscurité numérique, et Vincent savait que la moindre brise pourrait interrompre une conversation importante sur MSN.

 

Il souriait souvent en voyant ses amis parler de leurs connexions sans fil et de leurs téléchargements emule, tandis que chez lui, accéder à un simple site web prenait une éternité. Mais cela faisait partie de son quotidien. 

 

Fabrice, son père, refusait catégoriquement de faire installer une ligne internet comme tout le monde. Officiellement, il prétextait une vieille rancune avec la compagnie de téléphone qui lui réclamait une somme exorbitante pour une facture ancienne. Une facture qu'il attribuait, non sans une certaine colère, à ses enfants, convaincu qu'ils avaient abusé du téléphone familial en appelant à tout-va leurs amis d'école ou, pire encore, le répondeur du Père Noël à plusieurs reprises.

 

Vincent se souvenait des nombreuses disputes autour de cette histoire de facture. Son père leur répétait sans cesse qu’ils étaient responsables de cette dette qu’il refusait de payer. Pourtant, Vincent savait, de manière officieuse, que cette facture n’avait pas seulement été gonflée par des appels innocents de ses enfants. Fabrice, dans un silence coupable, avait lui-même contribué à ce montant exorbitant en appelant à de nombreuses reprises un service de téléphone rose. C’était un secret lourd que Vincent gardait précieusement, conscient qu’il ne pourrait jamais aborder ce sujet avec son père sans provoquer un cataclysme familial.

 

Ces soirées passées à bricoler l’antenne pour capter un semblant d’internet représentaient une échappatoire pour Vincent. MSN Messenger était son seul lien véritable avec l’extérieur, avec ses amis, avec Kristen. Et même si la connexion coupait parfois en plein milieu d’une conversation, il chérissait ces moments de liberté numérique, loin de l’ambiance tendue qui régnait souvent à la maison. C’était aussi une manière pour lui de se prouver qu'il pouvait, malgré tout, contourner les interdits imposés par son père, même si c’était à travers une boîte de couscous et un vieux câble d’antenne.

 

Bref, Vincent se connecta à la messagerie instantanée. MSN Messenger était au cœur de la vie des adolescents. Tous les soirs après l'école, c'était le rendez-vous virtuel, un lieu de discussions animées, de partages de musiques, d'avatars customisés et d'émoticônes colorées. Il n’y avait pas mieux pour se connecter avec ses amis, planifier des sorties ou échanger des secrets en toute discrétion. Pour Vincent et ses amis, MSN était plus qu'un simple outil de communication : c’était une véritable bouée dans l’océan chaotique de l’adolescence.

 

Dès que Vincent allumait son ordinateur, le son familier de la connexion retentissait, suivi de l'apparition de petites fenêtres en bas de l'écran indiquant qui était en ligne. Les conversations se déroulaient avec des échanges rapides, chacun tapant sur son clavier à toute vitesse, tandis que les icônes des utilisateurs changeaient constamment d'humeur ou d'expression. Ce soir-là, Vincent ouvrit MSN et remarqua que Kristen était connectée. Il savait qu'il devait lui parler de ce qu'il avait découvert.

Il lui envoya un message : « Il faut qu'on parle. J'ai découvert quelque chose d'important. »

Le petit rond vert à côté de son nom clignota avant que la réponse n’apparaisse.

 

Kristen : Oui, je suis là. Qu'est-ce qu'il se passe ?


Vincent resta un moment silencieux, son regard fixé sur l'écran. Il essayait de mettre de l'ordre dans ses pensées, mais tout lui semblait encore flou et chaotique. La frontière entre ce qu'il avait vécu dans la forêt et ce qu'il imaginait était de plus en plus mince. Il savait que Kristen ne le jugerait pas, mais il n'était même pas sûr de croire à ce qu'il s'apprêtait à dire.

 

Vincent : J’ai du mal à comprendre ce qui m’arrive. Il y a un “triangle” qui est apparu sur mon torse, cette lumière... C'est comme si quelque chose s’était réveillé en moi, et je commence à croire que tout ça est réel sauf si je perds la tête.
Il attendit nerveusement, ses doigts tapotant sur le bureau tandis que l’écran affichait les trois points animés indiquant que Kristen écrivait.

 

Kristen : Attends, un triangle sur ton torse ? C’est chelou non?

Ses mots résonnaient en lui. Kristen ne semblait même pas douter, même si elle semblait trouver cela étrange.

 

Vincent : Oui, quand j'ai touché cet arbre, j'ai ressenti une énergie intense. Comme si quelque chose se réveillait en moi. Et ce symbole… il est bien là, ce n’est pas un rêve.
La réalité de cette confession lui parut presque absurde. Pourtant, Kristen répondit sans hésiter, comme si cela ne la surprenait pas du tout.

 

Kristen : Écoute, on doit en savoir plus. Peut-être qu’il y a des livres ou des archives à la bibliothèque qui parlent de ces symboles. Je sais que c'est un peu flippant, mais on peut trouver des réponses.
Vincent resta silencieux un instant, impressionné par son calme. Kristen n'avait pas besoin de voir ce qu’il voyait pour le croire, et cette confiance le réconfortait dans le chaos de ses pensées.

 

Vincent : C’est une bonne idée. On pourrait y aller demain après les cours.


Kristen : Parfait. En attendant, essaie de te reposer. Pas de panique, on va découvrir ce qui se passe.
Vincent ne put s’empêcher de sourire légèrement devant son écran. Kristen avait cette manière unique de rendre les choses moins effrayantes, même lorsqu'il avait l’impression que tout s'effondrait autour de lui.

 

Vincent : Merci, Kristen. Je suis vraiment content que tu sois là.
Il hésita, ses doigts flottant au-dessus du clavier. Une question lui trottait dans la tête depuis le début de leur échange, une question à laquelle il n’avait pas osé donner voix jusqu’à présent. Il prit une profonde inspiration avant de taper.

 

Vincent : Pourquoi tu me crois ? Pourquoi tu es sûre de tout ça alors que moi-même j’ai un peu de mal à y croire ?
Son cœur battait un peu plus vite alors qu'il attendait la réponse, incertain de ce qu’elle allait dire. Quelques secondes plus tard, Kristen lui répondit.

 

Kristen : Parce qu’on est amis, Vincent. Je te connais mieux que personne, et je sais que tu ne dirais pas ça pour rien. Je n’ai pas besoin de voir ce que tu vois pour te croire.
Vincent relut les mots plusieurs fois, une chaleur familière l’envahissant. Kristen ne doutait jamais de lui, même quand lui-même perdait pied. C'était réconfortant, une ancre dans la tempête.

 

Vincent : Merci, ça me touche vraiment.


Kristen : C’est normal. On va éclaircir tout ça, t’inquiète pas.

 

Vincent sourit faiblement devant son écran. Kristen croyait en lui, et rien que ça, c’était déjà beaucoup. Même si tout restait flou, cette certitude lui donnait un peu de réconfort.

 

Il se déconnecta, se sentant un peu plus serein grâce à leur échange. Il savait qu'avec Kristen à ses côtés, il ne serait pas seul pour affronter les mystères qui entouraient son destin.

 

Et des mystères, il y en avait bien plus que Vincent ne le pensait. Le mystérieux homme de la station-service avait quitté l’endroit et arpentait désormais les rues de la ville. Azuri, plongée dans la nuit, semblait presque irréelle sous le ciel constellé. L’été venait de s’achever, et avec lui, l’agitation habituelle des journées chaudes. Les rues étaient désertes, les maisons endormies, et la brise légère portait des relents de mer. Les lumières des lampadaires clignotaient parfois, comme si elles hésitaient à rester allumées dans cette nuit étrange.

 

Au pied de la forêt Émeraude, juste à côté du cimetière de la ville,  un chat noir traversait les ruelles avec une aisance féline. Il longeait les murs, profitant de l’obscurité pour rester invisible aux yeux du monde. Le chat se faufila rapidement dans une chatière étroite, retrouvant la chaleur de son foyer. L’intérieur de la maison était éclairé d'une lumière tamisée, projetée par une lampe à huile posée sur une vieille étagère en bois, donnant à l’endroit un air hors du temps.

 

"Mondo, où étais-tu ?" résonna une voix douce et posée. Une silhouette féminine, grande et élancée, se déplaçait avec fluidité dans la pièce. Ses longs cheveux noirs étaient soigneusement attachés en une longue natte qui descendait jusqu'au bas de son dos. En s’approchant du chat, la lumière révéla le visage familier de Madame Elmyra Fibbs, la professeure de français, connue pour son aura mystérieuse et ses manières toujours énigmatiques. Ses yeux d'un vert profond scrutèrent Mondo avec une attention particulière.

 

"Tu es toujours à l’heure quand il s’agit de manger !" dit-elle avec un sourire en coin tout en déposant des morceaux de viande dans la gamelle du chat. Il lui était inhabituel de ne pas voir son fidèle compagnon rentrer à l'heure exacte, surtout à cette période de l'année où il évitait les froides nuits d'automne.

 

Alors que Madame Fibbs observait le chat qui commençait à dévorer son repas, une série de coups sourds retentit à la porte. Elle se redressa immédiatement, son regard se fixant sur la porte d’entrée. "Mais tiens, qui pourrait venir à une heure si tardive ?" murmura-t-elle pour elle-même, un froncement de sourcils venant altérer l’expression habituellement sereine de son visage.

 

Elle s’avança doucement vers la porte, son cœur battant légèrement plus vite. C’était une heure inhabituelle pour recevoir de la visite, et Azuri n’était pas une ville connue pour ses événements nocturnes. Madame Fibbs hésita un instant, jetant un coup d’œil à la fenêtre pour tenter de voir à travers la pénombre, mais la rue était vide. Les coups retentirent de nouveau, cette fois plus insistants.

 

"Patience," murmura-t-elle, avant de poser délicatement sa main sur la poignée. Une vague de nervosité, ou peut-être de curiosité, l’envahit tandis qu’elle ouvrait la porte avec précaution. Devant elle, la silhouette d’un homme se dessina sous la faible lueur des réverbères. Il portait un long manteau sombre, qui semblait se fondre dans l'obscurité environnante. Ses yeux étaient perçants, presque illuminés par une lueur étrange, comme s’ils pouvaient sonder l’âme de ceux qu’ils fixaient.

 

"Bonsoir," dit-il d’une voix rauque mais polie. "Je crains d'être arrivé à une heure tardive, mais il est impératif que nous parlions."

Elmyra, d’abord surprise, resta silencieuse un instant, puis son regard se durcit légèrement. "Que voulez-vous ?" demanda-t-elle, sur ses gardes.

 

L’homme, sans montrer la moindre hésitation, s’avança légèrement, restant à la frontière de la porte ouverte. "Je cherche l’élu."