
Chapitre 12 - Secrets et légendes
Le temps filait, et le délai pour présenter les exposés de biologie se faisait de plus en plus court. Pourtant, les préoccupations des uns et des autres semblaient bien éloignées de l’ADN, de la photosynthèse, ou de tout autre sujet scientifique. Au sein du trio, une tension palpable s’était installée, rendant le travail de groupe presque impossible.
Alicia et Vincent, qui habituellement trouvaient une harmonie naturelle dans leur amitié, s’évitaient soigneusement depuis plusieurs jours. Leur dynamique autrefois fluide et complice était maintenant ponctuée de silences gênés et de regards fuyants. Kristen, prise entre ses deux amis, oscillait entre frustration et inquiétude.
« Vous pouvez arrêter de vous ignorer cinq minutes ? » s’était-elle exclamée un après-midi, sa patience à bout. « Ce n’est pas juste une question d’exposé. Vous allez ruiner votre amitié si vous continuez comme ça. »
Mais ni Alicia ni Vincent ne semblaient prêts à briser le mur de malaise qui s’était construit entre eux. Vincent, gêné depuis qu’il avait avoué ses sentiments à Alicia, se repliait sur lui-même, évitant tout contact prolongé avec elle. Alicia, de son côté, semblait confuse, ne sachant pas comment gérer cette nouvelle facette de leur relation tout en jonglant avec les autres conflits qui pesaient sur ses épaules.
Alicia avait également coupé les ponts avec Nolan. Depuis leur dispute sur la rumeur selon laquelle elle et Vincent s’étaient embrassés, leur relation avait pris un tournant glacial. Cette rumeur, qu’elle savait propagée par sa sœur jumelle Sonia, avait non seulement mis à mal sa relation avec Nolan, mais avait aussi creusé un fossé profond entre elle et Sonia.
Un soir, alors qu’elles se retrouvaient seules dans le salon familial, Alicia n’avait plus pu contenir sa colère.
« Comment tu peux faire ça, Sonia ? » lança-t-elle, les yeux brillant d’une rage contenue. Elle croisa les bras, son ton oscillant entre indignation et désespoir. « Tu savais que c’était faux, et pourtant tu n’as pas hésité à balancer ça à tout le monde. Pourquoi ? »
Sonia, assise nonchalamment sur le canapé, feuilletait distraitement un magazine. Sans même relever la tête, elle haussa les épaules, un sourire suffisant étirant ses lèvres. « Relax, Al’. Ce n’est pas comme si ça allait changer la face du monde. »
Les paroles frappèrent Alicia comme une gifle. Elle serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes. « Pas changer la face du monde ? Tu plaisantes ? » répliqua-t-elle d’une voix tremblante. « Tu te rends compte de ce que tu as fait ? À cause de toi, Nolan et moi, c’est fini. Il ne veut même plus m’adresser la parole, et Vincent… »
Elle s’interrompit, secouant la tête comme pour chasser les pensées qui la submergeaient.
Sonia leva enfin les yeux, le visage neutre, presque blasé. « Vincent est un grand garçon. Il survivra. Et Nolan… franchement, il te traite comme une option depuis des mois. Peut-être qu’il était temps qu’il comprenne que tu peux avoir d’autres centres d’intérêt. »
Alicia ouvrit de grands yeux, abasourdie. « Tu te rends compte de ce que tu dis ? Tu penses vraiment que tu peux manipuler les gens autour de moi comme ça, juste parce que ça t’amuse ? »
Sonia pencha légèrement la tête, comme si elle considérait la question. « Manipuler ? C’est un grand mot, Al’. Moi, je dirais que je mets un peu de piment dans ta vie. Sérieusement, tu passes ton temps à être ‘la gentille Alicia’, celle qui fait tout bien, qui chante comme une diva à la chorale. Tu sais quoi ? Peut-être que ça t’a fait du bien, un peu de chaos. »
Ces mots firent éclater la colère d’Alicia. Elle fit un pas en avant, son regard flamboyant rivé à celui de sa sœur. « Du chaos ? Tu appelles ça du chaos ? » Elle désigna son propre torse du doigt, sa voix montant en intensité. « Tu m’as humiliée, Sonia. Tu as détruit ma relation avec Nolan et tu as fait passer Vincent pour quelqu’un qu’il n’est pas. Tout ça parce que tu trouves ça drôle ? »
Sonia posa son magazine et se redressa légèrement, le regard dur. « Oh, arrête un peu de jouer les victimes, Alicia. Tu veux savoir pourquoi je l’ai fait ? Pour te rendre service. Tu es tellement hésitante, tellement peu franche, ça te perdra»
Alicia resta figée, ses mots se bloquant dans sa gorge. Sa sœur prétendait toujours agir dans son intérêt mais elle savait surtout que la plupart du temps, elle gâchait son existence.
« Tu crois vraiment que j’ai besoin que tu me sauve ? » murmura-t-elle, sa voix vacillant.
Sonia haussa de nouveau les épaules, mais cette fois son sourire avait disparu. « Peu importe ce que tu penses. Ce que je sais, c’est que, pour une fois, ça t’a aidé. Alors, tu peux m’en vouloir autant que tu veux, mais je ne regrette rien. »
Les larmes montèrent aux yeux d’Alicia, mais elle les refoula, refusant de les laisser couler devant sa sœur. Elle inspira profondément, son ton devenant froid et tranchant. « Tu sais quoi, Sonia ? Tu as peut-être assouvi tes intentions, mais à quel prix ? Tu as brisé la confiance qu’il y avait entre nous. Et ça, je ne te le pardonnerai pas. »
Elle tourna les talons, quittant la pièce d’un pas rapide, le cœur lourd. Derrière elle, Sonia resta silencieuse, son regard fixé sur le mur devant elle, un éclat indéfinissable dans les yeux.
Face à ce méli-mélo de relations interpersonnelles, Kristen, fidèle à son tempérament curieux, avait remarqué une autre bizarrerie. Nolan, déjà distant et sur la défensive, semblait accorder une attention particulière à Madame Julien, leur professeure de biologie. Kristen avait rapidement remarqué que cette dernière venait souvent chez lui, un comportement qu’elle trouvait suspect.
Elle n’avait pas tardé à confronter Nolan à ce sujet et lui qui se montrait tout le temps hautain n’en avait jamais mené large face à Kristen. Il semblait la craindre elle plus que tout.
« Pourquoi est-ce qu’elle vient chez toi, sérieusement ? » avait-elle demandé, les bras croisés et le regard perçant, faisant barrage entre lui et la porte des toilettes des hommes.
Nolan, visiblement mal à l’aise, avait tenté une réponse évasive. « Elle m’aide à préparer mes candidatures pour l’université. Elle connaît bien le domaine, c’est tout. »
Mais Kristen n’en croyait pas un mot. Il y avait quelque chose dans le ton de Nolan, dans la façon dont il évitait son regard, qui lui disait qu’il ne disait pas toute la vérité.
Pour Kristen, tout partait toujours d’un détail. Et ce détail, cette fois, était cette impression que Nolan passait bien trop de temps avec Madame Julien après les cours. Ce n’étaient pas de simples discussions sur la biologie ou les études. Il y avait autre chose, elle en était persuadée.
Ce cocktail de non-dits, de disputes et de secrets avait transformé les relations dans leur petit cercle en une poudrière prête à exploser. Kristen, bien qu’habituée aux drames, commençait à ressentir le poids de tout ce qui se passait autour d’elle. Vincent, absorbé par ses propres émotions, se refermait sur lui-même. Alicia semblait isolée, à la fois par sa querelle avec Nolan et par la rupture de confiance avec sa sœur.
Et Kristen, toujours curieuse et intrépide, avait maintenant un mystère à résoudre mais qui n’avait rien d’amusant cette fois. Elle savait que ce qu’elle pourrait découvrir risquait d’envenimer encore plus les choses.
« Il faut que je sache, » murmura-t-elle pour elle-même, en observant de loin la silhouette de Nolan s’éloigner dans les couloirs du lycée.
Quelques jours plus tard, Kristen trouva son moment. Alors qu’elle et Alicia travaillaient ensemble sur leur exposé de biologie à la bibliothèque, Kristen fit mine de chercher quelque chose dans son sac.
« Eh, Al’. Je peux voir ton agenda ? » demanda-t-elle avec un sourire innocent.
Alicia releva les yeux de ses notes, méfiante. « Pourquoi ? Tu vas encore me dire que t’as mal noté un truc ? »
Kristen haussa les épaules, exagérant son air coupable. « Je suis désolée, c’est mon stylo, il déconne, il écrit pas droit. Allez, s’il te plaît, je suis déjà en retard dans mes révisions. »
Alicia soupira, amusée par l’excuse improbable de son amie, et sortit son agenda. « Tiens, mais fais vite. »
Kristen feuilleta rapidement les pages, repérant les emplois du temps griffonnés à l’arrière. Bingo. Celui de Nolan y figurait, noté de manière méthodique et un peu maniaque. Kristen nota mentalement les heures où il avait cours de biologie.
« Merci, t’es la meilleure, » dit Kristen en rendant l’agenda.
Avec l’information en poche, Kristen décida de surveiller discrètement Nolan à la fin de ses cours de biologie. Elle attendit un moment propice et, après une journée chargée, le vit sortir de la salle en compagnie de Madame Julien. Les deux semblaient plongés dans une conversation, leurs voix basses à peine audibles.
Kristen resta à bonne distance, s’abritant derrière un coin de mur pour ne pas être vue. Les échanges semblaient innocents, mais un détail attira son attention : Nolan avait une posture inhabituelle, comme s’il était nerveux. Et Madame Julien… elle lui adressait des sourires qui semblaient bien trop personnels pour une professeure.
Le lendemain, Kristen observa la même scène. Nolan traînait après le cours de biologie, et Madame Julien restait avec lui. Ils parlaient longtemps, leurs échanges semblant parfois animés, mais toujours teintés d’une étrange proximité.
Ce samedi après-midi, Kristen et Alicia s’étaient retrouvées dans la chambre d’Alicia pour avancer sur leur exposé de biologie. La lumière hivernale pénétrait doucement à travers les rideaux, éclairant le bureau encombré de livres, de feuilles éparpillées, et de stylos colorés. Kristen, assise sur une chaise bancale, tapotait distraitement son stylo contre la table, les pensées ailleurs. Ses préoccupations concernant Nolan et Madame Julien la hantaient encore, mais elle se força à se concentrer sur l’ADN, les bases azotées et la double hélice.
Alicia, quant à elle, fouillait dans son sac à la recherche de son cahier de notes. Ses mouvements étaient méthodiques, mais son silence trahissait une certaine tension. Kristen, toujours curieuse, laissa son regard errer sur le bureau d’Alicia. Parmi les objets, quelque chose attira son attention : un petit livre à la couverture usée, portant le titre Légendes d’Azuri gravé en lettres dorées.
« Eh, c’est quoi, ça ? » demanda Kristen, tendant la main pour attraper l’ouvrage. Sa voix était teintée d’intérêt, mais aussi d’une pointe de malice, comme si elle venait de découvrir un secret.
Alicia releva la tête, surprise, avant de sourire légèrement. « Oh, ça ? C’est un livre que j’ai trouvé chez Monsieur Javez, tu sais, l’antiquaire. Il parle des mythes locaux. »
Kristen tourna la couverture entre ses mains, fascinée par l’aspect ancien du livre. Elle feuilleta rapidement les premières pages, découvrant des illustrations intrigantes de symboles, de cartes et de créatures énigmatiques. Elle s’arrêta sur une page particulièrement dense, où des dessins de symboles complexes étaient accompagnés de descriptions manuscrites dans une écriture élégante mais difficile à lire.
« Je peux te l'emprunter?», demanda Kristen plus que curieuse au sujet de ce livre qu’elle n’avait jamais vu ailleurs.
Alicia haussa un sourcil et acquiesça . « Il est passionnant, je ne savais pas qu’il y avait tant de légendes concernant notre ville. Si tu veux, tu peux le prendre, je l’ai fini. »
Kristen hocha la tête, un sourire naissant sur ses lèvres. « Parfait. Je vais regarder ça de plus près. Merci, Al’. »
Plus tard dans la journée, Kristen était allongée en travers de son lit, le livre Légendes d’Azuri grand ouvert devant elle. La lumière du crépuscule filtrait à travers les rideaux légèrement entrouverts, projetant des reflets orangés sur les pages jaunies du vieux grimoire. L’odeur légèrement poussiéreuse du papier ancien flottait dans l’air, donnant à la pièce une atmosphère presque solennelle.
Elle parcourait les pages avec une attention méticuleuse, les sourcils froncés. Chaque illustration semblait raconter une histoire oubliée, un fragment d’un passé qu’elle peinait encore à relier aux événements récents. Mais ce qui capta soudainement son attention fut une carte ancienne d’Azuri, datant des années 1600. Le tracé du vieux quartier était moins défini qu’aujourd’hui, mais elle reconnaissait distinctement la forêt Émeraude, le cimetière, et même les ruines anciennes du sud de la ville.
Ce qui la fit tiquer, cependant, ce furent les cercles rouges marquant plusieurs endroits spécifiques : près du cimetière, dans la forêt Émeraude et… le sous-sol du lycée. Des annotations griffonnées en marge, écrites dans une encre presque fanée, tentaient d’expliquer ces marques. Kristen plissa les yeux pour déchiffrer les mots :
"Points d'ancrage... Protection... Passage entre les mondes..."
Elle sentit son estomac se nouer. Des passages ? Un lien avec les brèches ? Ou peut-être les mêmes symboles que ceux qu’ils avaient trouvés dans le sous-sol ? Ce n’était plus une simple coïncidence.
Ses doigts effleurèrent le contour d’un symbole triangulaire dessiné dans un coin de la carte. Il ressemblait étrangement à ceux que Vincent lui avait montrés. Un frisson lui parcourut l’échine à cette pensée. Et si tout cela était lié ?
Ne pouvant ignorer plus longtemps ce qu’elle venait de découvrir, elle se redressa, attrapa son téléphone et tapa rapidement un message à Vincent :
Kristen :
J’ai trouvé quelque chose d’important. Viens chez Fibbs demain. Sérieux, ça pourrait être lié à la brèche.
Elle hésita un instant avant d’envoyer, fixant l’écran comme si elle attendait déjà une réponse. Vincent était instable ces derniers temps, distant, mais il devait savoir. C’était trop important.
Elle posa le téléphone à côté d’elle, son regard retournant vers la carte. Plus elle la scrutait, plus elle se sentait observée. L’ancienne légende semblait murmurer à travers le papier, des fragments d’histoire oubliée cherchant désespérément à être compris.
Mais une question restait en suspens dans son esprit : Pourquoi ces endroits ? Pourquoi ces cercles ?
Une seule chose était certaine : elle devait creuser plus profondément. Et elle espérait que Vincent, malgré ses tensions avec Alicia, serait prêt à l'écouter cette fois.
Le lendemain matin, Kristen et Vincent franchirent le seuil du salon exigu de Madame Fibbs, accueillis par l’habituelle odeur envoûtante d’encens mêlée à celle des vieux parchemins.
Madame Fibbs apparut depuis l’arrière de la pièce, sa grande silhouette élancée enveloppée dans un châle brodé de motifs complexes. Ses lunettes glissèrent légèrement sur son nez alors qu’elle les saluait d’un hochement de tête bienveillant, observant le livre qu’ils tenaient.
Kristen, impatiente, posa le livre ancien sur la table basse usée, l’ouvrant avec précaution à la page de la carte d’Azuri. Ses doigts effleurèrent le papier jauni tandis qu’elle désignait les cercles rouges dessinés sur le parchemin.
« Regardez ça ! » s'exclama-t-elle, les yeux pétillant d’excitation et de curiosité. « C’est Azuri… en 1600. Et ces marques, vous voyez ? Elles ne sont pas là pour rien. Le livre parle clairement de symboles et de brèches. Ça pourrait expliquer tellement de choses… »
Vincent, jusqu'alors silencieux, s’approcha, le regard captivé par les tracés précis de la carte. Il pencha légèrement la tête, suivant du doigt les cercles rouges marquant trois points distincts : la Forêt Émeraude, le cimetière et ce qui semblait être l’emplacement exact du lycée. Son front se plissa tandis qu’il réfléchissait à voix haute :
« Ça ressemble à… des points de repère ? Je commence à comprendre… Une brèche dans la forêt, peut-être une autre au cimetière… et une au sous-sol du lycée ? »
Madame Fibbs, qui observait la scène avec son calme habituel, s'approcha et ajusta ses lunettes pour examiner la carte de plus près. Ses doigts ridés frôlèrent les symboles anciens tandis qu'elle murmurait :
« Ces emplacements… Ce ne sont pas de simples légendes locales. Ils apparaissent dans plusieurs manuscrits… Les récits parlent de points d’ancrage entre les mondes. Mais ce qui m’intrigue, c’est la régularité du motif. Chaque symbole gravé semble lié à un cycle. Comme si ces brèches… cherchaient à se rouvrir à intervalles réguliers. »
Un silence pesant s'installa. Le mystère semblait s'épaissir davantage à mesure que de nouvelles pistes émergeaient.
Les heures s’égrenèrent lentement. Kristen, Vincent et Madame Fibbs étaient plongés dans une étude méthodique du livre. Des piles de notes s’accumulaient sur la table, griffonnées par Kristen et annotées dans la marge par la professeure. Chaque symbole, chaque annotation semblait être un fragment d'un puzzle plus vaste.
Les discussions s’animaient, oscillant entre émerveillement et frustration. Certains passages étaient trop endommagés ou trop cryptiques pour être interprétés avec certitude, tandis que d'autres semblaient délibérément occultés, comme si l'auteur du manuscrit avait voulu cacher des vérités trop dangereuses.
Vincent, lui, s'était détaché, absorbé par un passage plus ancien du livre. Sa mâchoire se crispa légèrement alors qu’il lisait un extrait décrivant les brèches :
"Les failles, interstices entre les mondes, s’étaient ouvertes lorsque l'équilibre entre les forces opposées se brise. Elles laissèrent s’échapper des fragments d'énergie pure, parfois accompagnés d'entités venues d'ailleurs, ni tout à fait vivantes, ni tout à fait mortes. Les élus et leurs artefacts étaient peut-être les seuls à pouvoir…"
Vincent passa lentement ses doigts sur l’illustration accompagnant le texte. Un symbole triangulaire, presque identique à celui de son tétraèdre, ornait la page. Sa gorge se serra.
« C’est dingue, » murmura-t-il, la voix tremblante. « Ces histoires… Elles ne peuvent pas être vraies, pas à ce point. Mais regarde… » Il tourna le livre vers Kristen, pointant les motifs gravés. « Les symboles… Ils sont identiques à ceux de mon tétraèdre. Exactement les mêmes et plusieurs élus sont mentionnés! »
Kristen croisa les bras, l’expression à la fois sceptique et fascinée. Elle laissa son regard glisser entre la carte et la page des brèches, assimilant les informations.
« Alors, on fait quoi ? On va explorer ces endroits ? » demanda-t-elle, l'excitation toujours présente dans sa voix, mais teintée d'une pointe d'inquiétude.
Vincent releva les yeux vers elle, plus hésitant.
« Peut-être… » Il marqua une pause, le regard inquiet. « Mais pas sans un peu plus de contexte. On ne sait même pas ce qu’on cherche exactement… Et si… »
Il hésita, ses doigts crispant légèrement le bord du livre. Et si ces brèches étaient plus dangereuses qu’elles n’y paraissent ?
Kristen haussa les épaules, visiblement frustrée.
« Plus de contexte ? Vin’, on a déjà vu un corps marqué de ces symboles, on a trouvé une brèche sous le lycée et maintenant, il y a cette carte qui indique plusieurs points de rupture dans toute la ville. On n’est plus à un stade où on peut ignorer ça. »
Madame Fibbs intervint doucement, son ton grave :
« Je comprends votre hésitation, Vincent. Mais parfois, comprendre demande plus que des livres… Cela demande d’affronter ce qu’on ne peut expliquer. »
Lundi matin, alors que l’air glacial du matin s’insinuait dans les couloirs du lycée, Kristen semblait plus intéressée par la vie de Nolan que d’éluder le mystère autour des brèches ou alors des symboles. Elle observait Nolan à distance, adossée à son casier. Sa silhouette dégageait quelque chose de différent, presque fragile. Ses épaules, d’ordinaire redressées avec une assurance nonchalante, étaient voûtées. Son regard, habituellement confiant et vif, semblait éviter tout contact direct avec ceux qui l’entouraient. Il avançait d’un pas mécanique, comme s’il portait un poids invisible.
Kristen fronça les sourcils. Ce n’était pas le Nolan qu’elle connaissait. Lui, le gars qui adorait attirer l’attention et se targuait de son assurance, semblait étrangement en retrait. Ce comportement éveilla chez Kristen une curiosité encore plus intense. « Il cache quelque chose, c’est évident, » murmura-t-elle pour elle-même. Elle resserra son écharpe autour de son cou, le regard fixé sur lui.
Elle décida qu’aujourd’hui, elle allait creuser plus loin.
Après son cours de biologie, Kristen remarqua que Nolan restait encore une fois dans la salle, comme elle l’avait vu faire à plusieurs reprises. Madame Julien, leur professeure, referma la porte derrière elle et s’approcha de lui. Kristen, discrète, se positionna près d’un casier adjacent, dans un angle d’ombre. Elle retint son souffle, son cœur battant à tout rompre.
Les voix des deux interlocuteurs étaient faibles, presque des murmures. Kristen devait tendre l’oreille pour capter des bribes de leur échange.
« On doit faire attention, » disait Madame Julien, sa voix teintée d’une nervosité qu’elle ne s’efforçait même pas de dissimuler. « Les gens vont finir par remarquer. »
Nolan, lui, semblait décontenancé. Ses épaules s’affaissèrent davantage alors qu’il répondit d’une voix basse : « Je sais, mais… ça devient de plus en plus compliqué. On peut se voir au cimetière, le soir. Il y a des cryptes, et personne ne nous verra là-bas. »
Kristen sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Le cimetière ? Ses pensées s’emballèrent. Elle tenta de rationaliser : « Est-ce qu’ils… déterrent des corps ? Pour les disséquer comme des grenouilles en cours ? » La pensée, bien que absurde, resta accrochée à son esprit, teintée d’une morbide fascination.
Kristen resta figée, chaque muscle tendu, son souffle saccadé alors que l’adrénaline pulsait dans ses veines. Le poids de ce qu’elle venait d’entendre résonnait encore dans son esprit. Une rencontre au cimetière ? Son cœur battait à un rythme frénétique, tambourinant dans ses tempes tandis qu’elle luttait pour ne pas céder à la panique.
Elle se força à respirer lentement, profondément, essayant d’apaiser le flot d’émotions contradictoires qui l’assaillaient. Calme-toi, Kristen. Analyse. Observe.
Depuis sa cachette derrière le casier, elle continua à observer Nolan et Madame Julien. La professeure quitta la salle de biologie en première, ses pas mesurés résonnant légèrement sur le carrelage du couloir vide. Nolan, lui, marchait à quelques pas derrière, les épaules voûtées, le regard fuyant. Un contraste frappant avec l’attitude confiante qu’il affichait d’ordinaire.
Kristen plissa les yeux. Culpabilité ou malaise ?
Elle attendit. Un, deux, trois... vingt secondes s’écoulèrent. Lorsqu’elle fut certaine qu’ils avaient disparu au bout du couloir, elle s’extirpa lentement de sa cachette, les jambes encore légèrement tremblantes.
Un pas. Puis un autre. Elle avançait prudemment, le cœur toujours martelant, tendant l’oreille au moindre bruit.
Ses pensées tourbillonnaient à toute allure alors qu’elle progressait dans les couloirs désormais déserts du lycée.
Pourquoi le cimetière ?
Un lieu aussi macabre et isolé ne pouvait pas être choisi au hasard. Était-ce simplement un endroit discret pour discuter, à l’abri des regards indiscrets ? Ou était-ce plus sombre, plus lié à tout ce qu’ils avaient découvert récemment sur les symboles et les brèches ?
Kristen serra les poings. Trop de coïncidences.
Le cimetière avait déjà été mentionné dans le vieux livre Légendes d’Azuri, et maintenant, voilà que Madame Julien suggérait à Nolan de s’y retrouver. Et ces symboles gravés qu'ils avaient vus sur le cadavre…
Un frisson la parcourut.
Et si tout était lié ?
Les jours passèrent, mais Kristen ne parvenait pas à chasser de son esprit la conversation entre Nolan et Madame Julien. Les mots « cimetière » et « cryptes » tournaient en boucle dans sa tête, accompagnés de questions sans réponse. Pourquoi se retrouvaient-ils là-bas ? Que faisaient-ils ? Plus elle y pensait, plus sa curiosité se transformait en une obsession irrépressible.
Un soir, alors que la ville d’Azuri semblait figée dans le silence de la nuit, Kristen prit une décision. Elle enfila son manteau, saisit une lampe de poche qu’elle glissa dans sa poche et sortit discrètement de chez elle. Elle savait que Nolan avait l’habitude de quitter sa maison à la tombée de la nuit, et cette fois, elle comptait le suivre.
Les rues pavées étaient désertes, et seuls les réverbères projetaient leur lumière tamisée sur le sol humide. Kristen avançait à pas feutrés, sa respiration formant de petites volutes blanches dans l’air froid. Arrivée à la lisière du cimetière d’Azuri, elle s’arrêta un instant, son regard fixé sur les grilles en fer forgé. Elles semblaient plus imposantes que d’ordinaire, rouillées et tordues par le temps, comme une barrière entre le monde des vivants et un autre plus sombre.
Nolan se trouvait déjà là, son manteau noir se fondant presque dans l’obscurité. Il marchait lentement le long des grilles, jetant des coups d’œil furtifs autour de lui. Kristen se cacha derrière un arbre bordant le chemin, veillant à rester hors de vue. Son cœur battait à un rythme effréné, et une boule d’appréhension se forma dans son estomac. Que cherchait-il ? Que faisait-il ici, seul, en pleine nuit ?
Nolan s’arrêta finalement sous une vieille lanterne vacillante. La lumière jaunâtre éclairait son visage, projetant des ombres mouvantes qui dansaient sur ses traits tendus. Kristen observa, retenant son souffle, alors qu’il scrutait les alentours, comme s’il attendait quelqu’un. L’air était chargé de tension, et même les branches des arbres semblaient se figer sous l’atmosphère oppressante.
Après quelques minutes d’attente, une silhouette familière émergea de l’obscurité. Kristen sentit son souffle se bloquer lorsqu’elle reconnut Madame Julien. La professeure de biologie avançait d’un pas rapide, ses mouvements précis mais empreints d’une certaine nervosité. Lorsqu’elle atteignit Nolan, ils échangèrent un bref regard, mais Kristen pouvait deviner que leur rencontre n’était pas anodine.
Elle se concentra, essayant de capter leurs voix, mais elles étaient presque imperceptibles, portées par le vent et couvertes par le bruissement des feuilles. Cependant, Kristen n’avait pas besoin d’entendre pour ressentir la tension entre eux.
Puis, ce qu’elle vit la stupéfia. Nolan s’approcha lentement de Madame Julien, son regard plongeant dans le sien. Il posa ses mains sur ses épaules et, sans hésiter, l’embrassa. Ce n’était pas un baiser maladroit ou hésitant, mais un geste chargé d’une intensité qui ne laissait aucun doute sur la nature de leur relation.
Kristen recula instinctivement, le choc l’envahissant. Elle avait envisagé bien des scénarios, mais certainement pas celui-ci. Dans son mouvement précipité, son pied heurta une pierre, produisant un bruit sourd qui résonna dans le calme de la nuit.
De retour chez elle, Kristen se laissa tomber sur son lit, le regard fixé au plafond. La lumière tamisée de sa lampe de chevet projetait des ombres dans sa chambre, mais elle n’y prêta aucune attention. Ses pensées tourbillonnaient, entre confusion et incrédulité. Une relation entre une professeure et un élève… Nolan, de toutes les personnes, impliqué dans une telle situation ? Elle aurait pu imaginer bien des choses à son sujet – son arrogance, ses fréquentations douteuses – mais pas ça.
Et pourtant, ce qu’elle avait vu ne laissait aucun doute. Ce n’était pas un malentendu ou une interprétation erronée. Leur baiser, la proximité entre eux, la tension palpable… tout était clair, presque trop clair pour qu’elle puisse l’assimiler.
Kristen porta une main à son front, fermant les yeux comme pour essayer de calmer le chaos dans son esprit. Que devait-elle faire maintenant ? Parler à Alicia ? À Vincent ? Ou garder ça pour elle ?
Elle imaginait déjà la réaction de ses amis. Alicia, absorbée par ses propres conflits avec Sonia et Nolan, pourrait ne pas comprendre l’ampleur de la situation. Quant à Vincent, encore replié sur lui-même depuis ses aveux à Alicia, il risquait de voir cette révélation comme un problème de plus à porter. Mais Kristen savait aussi que garder ce secret pour elle risquait de lui peser lourd.
Ses pensées s’entrechoquaient. Si je parle, ça pourrait tout faire exploser. Une part d’elle savait qu’un tel scandale risquait d’avoir des répercussions bien au-delà de leur cercle d’amis. Nolan serait immédiatement dans la ligne de mire. Et Madame Julien… Elle risquait de tout perdre – son poste, sa réputation, et peut-être plus encore.
Mais une autre voix intérieure s’insinuait : Et si ça va plus loin ? Et si ce n’est pas juste une attirance mutuelle ?
Elle serra les poings, ses muscles tendus par la tension. Kristen n’avait jamais été du genre à reculer devant un problème, mais cette fois, les enjeux lui semblaient bien plus grands que tout ce qu’elle avait affronté jusqu’à présent.
Kristen inspira profondément, tentant de calmer le rythme effréné de son cœur. Je dois agir avec prudence, se dit-elle, se redressant légèrement sur son lit. Elle ne pouvait pas tout garder pour elle, mais elle devait choisir avec soin la manière dont elle aborderait la situation. Une chose était certaine : ce qu’elle venait de découvrir allait bouleverser bien plus que la dynamique fragile de son groupe d’amis.
Elle passa ses doigts dans ses cheveux, son regard se posant sur le livre Légendes d’Azuri posé sur son bureau. Même ce mystère semblait presque pâle en comparaison de ce qu’elle avait vu ce soir. Pourtant, elle sentait que les deux étaient liés d’une manière qu’elle ne comprenait pas encore.
« Demain, je commencerai par Vincent, » pensa-t-elle finalement. Il avait un regard analytique, une capacité à garder la tête froide, même dans les situations les plus tendues. Peut-être qu’il pourrait l’aider à réfléchir à ce qu’il fallait faire.
Elle éteignit sa lampe de chevet, mais le sommeil tarda à venir. Les images du cimetière, de Nolan et Madame Julien, défilaient en boucle dans son esprit. Kristen savait qu’elle venait de poser le pied dans quelque chose de bien plus grand qu’elle ne l’avait anticipé. Et pour la première fois depuis longtemps, elle se demandait si sa curiosité l’avait poussée trop loin.