
Chapitre 11 - Les reflets d'une rivalité
Le retour des vacances de Noël baignait le lycée d’Azuri d’une énergie renouvelée. Les décorations festives, qui avaient illuminé les couloirs d’une chaleur réconfortante, avaient disparu, ne laissant derrière elles qu’une ambiance studieuse. Les élèves, encore enveloppés dans leurs souvenirs de vacances, se retrouvaient dans une effervescence mêlée de rires et de conversations animées. Pourtant, pour Vincent et Kristen, les vacances avaient été tout sauf ordinaires.
Les deux amis avaient passé une grande partie de leurs congés chez Madame Fibbs, entourés de vieux grimoires poussiéreux et d’artefacts mystérieux. Entre les discussions sur les symboles des Reliques et les échanges houleux sur leurs interprétations, ils n’avaient pas eu beaucoup de temps pour se reposer. Mais ce matin, le lycée les rappelait à la réalité.
« Sérieusement, je n’en peux plus de ces symboles, » grommela Kristen en longeant les casiers. Elle serra son écharpe contre son cou, ses joues rougies par le froid. « Des triangles, des cercles, des ellipses… On dirait que tout ça mène nulle part. »
Vincent esquissa un sourire fatigué. « Peut-être, mais on a appris des trucs importants. Tu te souviens de ce que Fibbs a dit sur le triangle ? Chaque angle représente la terre, l’humain et le mystique. Et quand on l’entoure d’une ellipse, ça devient une protection. »
Kristen leva les yeux au ciel, exaspérée. « Ouais, génial. Mais qu’est-ce qu’on est censé protéger, hein ? Et surtout, pourquoi maintenant ? Pourquoi pas il y a dix ans ou même dix ans plus tard ? »
Vincent haussa les épaules, réfléchissant. « Elmyra dit que les Reliques ne suivent pas un calendrier précis. Elles se réveillent quand elles le jugent nécessaire. C’est frustrant, je sais, mais on n’a pas vraiment le choix. »
Ils atteignirent la porte de la salle de biologie, où un groupe d’élèves discutait encore bruyamment. Madame Julien, leur professeure, n’était pas encore arrivée, ce qui leur laissait un instant pour souffler. Kristen se tourna vers Vincent, une lueur malicieuse dans les yeux.
« Et Angelo, tu penses quoi de lui ? » demanda-t-elle, croisant les bras. « Il est sympa, mais franchement, il ne semble pas beaucoup avancer de son côté. »
Vincent fronça les sourcils. « Il est encore plus perdu que nous, je crois. Son tétraèdre est différent. Blanc brillant, avec des symboles qui ne réagissent pas comme les miens. Mais… je ne sais pas. On dirait qu’il nous cache quelque chose. »
Kristen hocha la tête, son expression se durcissant. « Ouais, moi aussi je trouve qu’il est louche. Et puis, Fibbs n’est pas toujours très claire non plus. Tu crois qu’elle nous dit tout ? »
Vincent hésita avant de répondre. « Je pense qu’elle essaie, mais elle a ses limites. Même elle ne sait pas tout. Les fragments qu’elle a sur l’Ordre Supérieur sont incomplets. Elle fait de son mieux avec ce qu’elle a. »
Kristen haussa les épaules, visiblement agacée. « Peut-être. Mais ça n’empêche pas que nous, on est en première ligne. Toi avec ta téléportation imprévisible, et moi… avec rien du tout. »
Vincent lui lança un regard désapprobateur. « Kris, je ferais quoi sans toi, Fibbs dit que si tu es là avec nous c’est que tu fais partie du puzzle, peut-être même une des pièces la plus importante. »
Un sourire s’installa entre eux, tandis que la porte de la salle s’ouvrait pour laisser entrer Madame Julien.
Dans la salle de biologie, une lumière hivernale douce et blanche perçait à travers les grandes fenêtres. Elle illuminait les visages des élèves, dont certains luttaient encore contre le sommeil tandis que d'autres, comme Alicia, semblaient déjà prêts à se remettre au travail. Kristen, pour sa part, observait distraitement la rosée qui recouvrait encore les branches des arbres dehors, un soupir résigné sur les lèvres.
Madame Julien, une jeune femme dynamique d’à peine 24 ans, dont l’enthousiasme contrastait avec la lassitude ambiante, claqua joyeusement dans ses mains pour capter l’attention de la classe.
« Allez, tout le monde, on reprend en douceur ! Pour ce trimestre, je vais vous attribuer des exposés à préparer en groupe. Les sujets seront en lien avec le programme de que nous aborderons au second semestre. C’est l’occasion de vous plonger un peu en avance dans les mystères de l’ADN, ou encore de la photosynthèse ou même de l’appareil respiratoire... »
Kristen roula des yeux et se laissa glisser dans sa chaise, croisant les bras sur sa table. Elle tourna la tête vers Vincent, assis à côté d’elle, et murmura : « Génial… rien de mieux que de potasser des bouquins pour bien commencer l’année. »
Vincent lui répondit d’un sourire amusé. « En tout cas, c’est pas avec mon réseau internet pourri qu’on va pouvoir bosser. »
Kristen lui donna un petit coup de coude. « Voilà on a aucun outil pour travailler»
À quelques tables de là, Alicia, droite et concentrée, notait déjà les consignes de Madame Julien avec une application méthodique. Son attitude sérieuse contrastait nettement avec la désinvolture de Kristen. C’était justement cette opposition de caractères qui nourrissait la complicité entre les deux filles : Kristen, spontanée et parfois brusque, trouvait en Alicia une force tranquille et réfléchie.
Madame Julien, toujours enjouée, continua : « Mettez-vous par groupes de deux ou trois, et n’hésitez pas à choisir des partenaires avec qui vous vous sentez à l’aise. Mais attention, je tiens à ce que le travail soit sérieux. Pas de prétextes pour papoter et traîner ! »
Kristen et Vincent échangèrent un regard complice. L’idée d’être ensemble ne faisait aucun doute.
Kristen pivota sur sa chaise pour chercher Alicia des yeux. « Bon, j’imagine qu’on demande à Alicia ? » dit-elle, presque rhétorique. « Amélie et Alex se sont déjà mis ensemble… et Evan, euh… » Elle scruta la salle, repérant Evan qui discutait déjà avec un autre groupe. « Bon, Evan est pris. Alors, Al’, tu te mets avec nous ? »
Alicia se leva doucement de sa chaise, ses livres serrés contre elle, et s’approcha du duo. Elle afficha un sourire en coin qui déstabilisa légèrement Kristen. « Hmm… j’hésite, j’hésite. » Elle feignit une réflexion intense, plissant légèrement les yeux comme si elle pesait chaque option.
Vincent, de son côté, tenta de paraître indifférent, jouant distraitement avec son stylo. Mais il espérait secrètement qu’Alicia accepte. La perspective de passer du temps avec elle, même dans un cadre scolaire, suffisait à illuminer sa journée.
Kristen, toujours impatiente, lui lança un regard semi-amusé, semi-agacé. « Sérieusement, Alicia ? C’est nous ou un autre groupe qui ne sait même pas ce que “ADN” veut dire. Tu choisis quoi ? »
Alicia éclata de rire, levant les mains en signe de reddition. « D’accord, d’accord, vous avez gagné. Je vous fais marcher. Bien sûr que je me mets avec vous. »
Kristen leva les bras en signe de triomphe. « C’est ça qu’on veut entendre ! »
Vincent, cachant un sourire, se redressa dans sa chaise. « Bienvenue dans l’équipe, Al’. Promis, on te fera briller dans cet exposé. »
Alicia posa ses affaires sur leur table, un éclat malicieux dans les yeux. « Si on veut briller, il faudra que Kristen lise au moins une page du manuel. »
Kristen fit mine d’être choquée. « Oh, allez, pas de ça ! Je vais te surprendre, Alicia. Tu verras, je serai l’experte en génétique d’ici la fin du mois. »
Le trio riait, leur complicité dissipant l’atmosphère un peu lourde du retour à l’école. Leur groupe était formé, et malgré la charge de travail qui les attendait, l’idée de collaborer ensemble donnait un élan d’enthousiasme inattendu à cette journée.
En sortant du lycée, Alicia laissa échapper un léger soupir. La journée avait été longue, et son esprit était déjà tourné vers l’un des rares endroits où elle se sentait réellement à sa place : la petite boutique d’antiquités nichée dans une ruelle pavée du vieux quartier d’Azuri. Ce lieu était un havre de paix pour elle, un espace où le temps semblait suspendu et où personne ne l’attendait au tournant avec des attentes ou des jugements.
La clochette au-dessus de la porte tinta doucement lorsqu’elle entra. Une vague d’odeurs familières – bois ciré, cuir vieilli, papier jauni – l’enveloppa aussitôt. Les rayons de lumière traversant les rideaux poussiéreux illuminaient les étagères croulant sous des objets anciens : des horloges arrêtées à des heures oubliées, des livres dont les reliures craquelées murmuraient des secrets du passé, et des bibelots étincelant faiblement dans la pénombre.
« Alicia ! » lança Monsieur Javez, le propriétaire, depuis l’arrière-boutique. Avec son éternel gilet à carreaux et ses lunettes rondes glissant constamment sur son nez, il avait l’allure d’un vieil érudit. « Je me disais que tu passerais aujourd’hui. »
Alicia sourit, posant son sac près de la porte. « Vous commencez à bien me connaître. »
« On peut dire ça. J’ai quelques nouveaux trésors que tu vas adorer. Et si ça ne te dérange pas, il y a un carton de livres que je n’ai pas encore triés. Tu veux bien jeter un œil ? »
« Bien sûr ! » répondit-elle avec enthousiasme, déjà ravie de plonger dans une tâche qui lui permettrait d’oublier, ne serait-ce que quelques instants, le reste de sa vie.
Elle s’installa près du comptoir, ouvrant un grand carton rempli de livres poussiéreux. Ses doigts effleurèrent les reliures fatiguées, ses yeux cherchant des titres ou des détails intrigants. Pendant ce temps, Monsieur Javez lui apporta une tasse de thé qu’elle accepta avec gratitude.
« Alicia, tu sais que je tiens vraiment à te payer pour ton aide, » dit-il après un moment, sortant une petite enveloppe de sa poche.
Elle leva les yeux, secouant la tête. « Vous savez que je ne fais pas ça pour l’argent, Monsieur Javez. Être ici, c’est déjà une récompense en soi. »
Il la fixa avec un sourire bienveillant, mais elle détourna le regard, gênée. Ce lieu était son refuge, un endroit où elle n’avait pas besoin de prouver sa valeur, où elle pouvait être simplement elle-même. Mais ce sentiment de tranquillité s’effaçait à chaque pas qu’elle faisait en direction de chez elle.
Située dans une rue animée du centre-ville d’Azuri, la demeure des Lorandi, bien que sobre, témoignait d’une certaine aisance. Les murs beige clair, ornés de volets en bois foncé, donnaient à l’ensemble un charme discret. Lorsque la porte d’entrée de sa maison claqua derrière Alicia, la chaleur rassurante de la boutique laissa place à une atmosphère plus tendue. La voix de sa mère résonnait déjà depuis le salon, ponctuée par les rires de Sonia, sa sœur jumelle. Alicia soupira discrètement, ajustant les lanières de son sac avant de s’approcher timidement.
« Maman, papa, j’ai quelque chose à vous raconter, » dit Alicia en entrant dans le salon. Sa voix était teintée d’hésitation, mais une lueur d’espoir brillait dans ses yeux. Elle s’arrêta à quelques pas de ses parents, le cœur battant plus vite que d’habitude. « À la chorale, ils m’ont proposé d’essayer un rôle de soliste pour le concert de printemps. Vous vous rendez compte ? »
Elle attendit une réaction, un signe d’enthousiasme. Sa mère, assise sur le canapé, était absorbée par la réparation d’un ruban rouge appartenant à l’uniforme de majorette de Sonia. Sans même lever les yeux, elle répondit distraitement : « C’est bien, ma chérie. »
Son père, installé dans son fauteuil préféré, posa un instant son regard sur elle avant de retourner à son verre posé sur la table basse. « Oui, c’est bien, Alicia. »
Elle ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, mais son père la coupa avant qu’elle ne puisse continuer. Son regard s’illumina alors qu’il se tournait vers Sonia, sa fausse jumelle, assise à côté de lui et feuilletant son carnet de notes. « Sonia, tu sais, vous faites bien caguer l’équipe de Neopolis. Ton enthousiasme, ton énergie… ça motive vraiment l’équipe. C’est exactement ce qu’il faut pour les encourager. » Alicia esquissa un faible sourire. “Caguer”. Son père utilisait toujours de vieilles expressions venues tout droit du sud de la France, là où il avait grandi, en Europe.
Sonia releva la tête avec un sourire éclatant. « Oh, merci, papa. Mais c’est eux qui font tout le travail. Moi, je suis juste là pour les soutenir. »
« Et tu fais ça merveilleusement bien, » continua leur père. « L’équipe de foot, c’est la fierté de la ville, et toi, tu en es une ambassadrice parfaite. »
Alicia resta immobile, serrant légèrement les poings. Son sourire avait disparu, remplacé par une expression fermée. C’était toujours la même chose. Peu importe ce qu’elle accomplissait, l’attention finissait inévitablement par se tourner vers Sonia. Elle murmura un faible « Bravo, Sonia, » avant de monter rapidement les escaliers.
Une fois dans sa chambre, Alicia referma doucement la porte et se laissa tomber sur son lit. Son sac glissa de son épaule et tomba au sol. Elle fixa le plafond, tentant de contenir la boule qui s’était formée dans sa gorge. Pourquoi tout semblait-il toujours tourner autour de Sonia ? Pourtant, au lycée, elle aussi était appréciée. Ses camarades la complimentaient souvent pour son sourire chaleureux, son écoute, sa voix lorsqu’elle chantait. Mais elle ne voyait rien de tout cela.
Pour Alicia, la popularité de Sonia était éclatante, presque aveuglante. Sa sœur attirait les regards sans effort, que ce soit en tant que majorette ou comme soutien indéfectible de l’équipe de football. À ses yeux, elle-même n’était qu’une ombre, une version plus terne et plus discrète.
Elle attrapa son téléphone et regarda rapidement ses messages. Rien. Toujours rien de Nolan. Leur relation en dents de scie lui pesait ces derniers temps. Après les événements de la fête d’Halloween il avait tenté de se rattraper en s’occupant de faire plaisir à Alicia, mais pendant les fêtes de fin d’année il était devenu distant. Elle ne pouvait s’empêcher de sentir qu’il ne la voyait pas vraiment. Pas quand elle voulait parler de ses rêves ou de ce qui comptait pour elle. Tout semblait tourner autour de lui, de ses succès, de ses attentes, un peu comme avec sa sœur Sonia.
Elle soupira et fouilla dans son sac pour en sortir un petit livre trouvé chez Monsieur Javez la veille, Légendes d’Azuri. Les pages usées exhalaient une odeur rassurante de papier ancien. Alicia ouvrit le livre et laissa son esprit se perdre dans les mots. Ici, dans le calme de sa chambre ou parmi les reliques de la boutique d’antiquités, elle se sentait enfin elle-même. Pas une fille comparée à une autre, pas une jumelle qui devait constamment égaler l’éclat de Sonia.
Pourtant, même dans ces moments, une pensée insistante s’infiltrait. Pourquoi ne pouvait-elle pas voir ce que les autres voyaient en elle ? Combien de temps pourrait-elle supporter de se sentir toujours reléguée au second plan, alors que peut-être, juste peut-être, elle brillait déjà sans le savoir ?
Le mercredi suivant, après les cours du matin, Kristen, Vincent, et Alicia se retrouvèrent devant la maison des Lorandi. Alicia poussa la porte, mais à peine avaient-ils franchi le seuil qu’un nuage de fumée âcre les enveloppa. Une odeur de plastique brûlé flottait dans l’air, rendant l’atmosphère étouffante.
« Sonia ! » s’exclama Alicia, le ton chargé de reproches.
Les parents d’Alicia surgirent de la cuisine. Mme Lorandi, les sourcils froncés, s’adressa immédiatement à sa fille : « Alicia, qu’est-ce que tu as encore fait ? Le micro-ondes est hors service ! »
Alicia ouvrit la bouche pour protester, mais avant qu’elle ne puisse dire un mot, Sonia apparut dans l’encadrement du salon. Elle affichait un sourire innocent, tenant une bouteille de soda à la main. Elle ne ressemblait en rien à sa jumelle: Plus petite et plus ronde, elle arborait également des yeux verts un peu tombants et des cheveux châtains moyen lisses qu’elle attachait souvent en queue haute.
« Oh, maman, » dit-elle d’un ton mielleux, « peut-être qu’Alicia a juste mal réglé la minuterie. »
Vincent fronça les sourcils, tandis que Kristen tapait du pied, manifestement agacée. « Madame Lorandi, ce n’est pas Alicia. Nous venons à peine d’arriver, déclara Kristen qui ne supportait pas les injustices. »
Alicia, bien qu’habituée à cette dynamique, semblait blessée par l’accusation implicite. Mme Lorandi hésita un instant avant de soupirer. « Très bien, très bien… Mais ça va nous coûter cher, ce genre d’accident. »
Un sourire furtif traversa le visage de Sonia, qui retourna dans le salon en balançant négligemment sa queue de cheval. Alicia guida ses amis à l’étage, les lèvres pincées.
Dans la chambre d’Alicia, les trois adolescents s’installèrent autour d’un bureau encombré de livres et de feuilles volantes. Kristen tapait nerveusement son stylo sur la table, tandis que Vincent consultait les notes de biologie. Alicia semblait distraite, ses pensées visiblement ailleurs.
« Ça va ? » demanda Vincent.
Alicia haussa les épaules avec un sourire triste. « Oui, c’est juste… ma sœur. Elle sait toujours comment s’en sortir sans se faire attraper, et moi, je me retrouve toujours en première ligne. »
Kristen renifla bruyamment. « Elle est vraiment insupportable. Je ne comprends pas comment tu fais pour gérer tout ça. »
Alicia soupira. « Elle n’a pas toujours été comme ça. Avant, on était inséparables. Mais à partir du collège, tout a changé. Elle est devenue… différente. »
La conversation fut interrompue par une coupure soudaine de courant. La lumière vacilla une seconde avant de disparaître complètement, plongeant la pièce dans l’obscurité. Kristen alluma son téléphone pour éclairer la pièce. « Génial, ça va être pratique pour bosser… »
« Ce disjoncteur, je vous jure, » marmonna Alicia en se levant. « Je vais chercher des bougies. »
Alors qu’Alicia quittait la pièce, une sensation étrange envahit Vincent. L’air semblait plus lourd, presque électrique. Un murmure imperceptible résonnait à ses oreilles, un écho lointain qui semblait surgir de nulle part. Kristen, qui le surveillait du coin de l’œil, fronça les sourcils.
« Vincent, ça va ? »
Il hocha la tête, mais son visage livide trahissait son malaise. « Oui… juste une migraine. »
Lorsque Alicia revint avec des bougies, la lumière douce qu’elles diffusaient apaisa légèrement l’atmosphère, mais Vincent ne pouvait se défaire de la sensation que quelque chose d’invisible les observait.
Plus tard, lorsque la lumière fut enfin revenue, les trois amis redescendirent au salon pour tenter de se détendre. Sonia, toujours confortablement installée sur le canapé, les pieds négligemment posés sur la table basse, leur adressa un sourire narquois en les voyant arriver.
« Alors Kristen, toujours pas tentée de rejoindre l’équipe des majorettes ? » lança-t-elle d’un ton faussement innocent, ses yeux pétillant d’un mélange de provocation et de satisfaction.
Kristen, déjà peu encline à supporter les remarques de Sonia, leva un sourcil, agacée. « Jouer les groupies fades et superficielles pour une bande de mecs décérébrés ? Non merci, très peu pour moi. »
Le ton sec de Kristen aurait pu en désarmer plus d’un, mais pas Sonia. Elle haussa simplement les épaules, arborant un sourire en coin. « Ouais, je comprends… mais c’est pas votre pote Alex qui fait partie de l’équipe ? »
Kristen ne se laissa pas déstabiliser une seconde. Son visage resta parfaitement impassible alors qu’elle rétorqua avec un calme déconcertant : « L’exception confirme la règle. »
Vincent, qui assistait à l’échange ne put s'empêcher de soutenir son amie “ C’est pertinent.” Alicia, de son côté, soupira bruyamment, déjà excédée par les remarques incessantes de sa sœur.
« Bon Sonia, c’est bon. T’as pas autre chose à faire que de poser des questions débiles ? » lança-t-elle, son ton trahissant un agacement qu’elle ne cherchait même plus à dissimuler.
Mais Sonia, fidèle à elle-même, ne semblait pas décidée à lâcher l’affaire. Elle inclina légèrement la tête, son regard perçant se posant sur Alicia, avant de lancer d’une voix doucereuse : « Nolan m’a demandé pourquoi tu passes autant de temps avec lui, » dit-elle en désignant Vincent d’un mouvement de tête. « Il commence à se poser des questions. »
Alicia sentit son estomac se nouer, mais elle ne laissa rien paraître. Au lieu de cela, elle planta son regard dans celui de sa sœur, ses yeux étincelant de colère contenue. « Nolan est aux abonnés absents, » répliqua-t-elle sèchement, sa voix vibrante d’une impatience qu’elle peinait à maîtriser.
Vincent, lui, se tenait maladroitement en arrière, ses mains jointes devant lui, visiblement gêné par la tournure de la conversation. Il aurait voulu disparaître dans le canapé à cet instant.
Sentant que la situation risquait de dégénérer, Alicia se redressa brusquement et fit signe à Kristen et Vincent de la suivre. « Allez, on y va, » dit-elle d’un ton tranchant, sans accorder un regard de plus à sa sœur.
Kristen se leva sans protester, jetant un dernier coup d’œil froid à Sonia avant de tourner les talons. Vincent, un peu plus hésitant, suivit rapidement, soulagé de quitter cette atmosphère pesante.
Alicia accéléra le pas, entraînant ses amis hors de la pièce, ses pensées tourbillonnant d’une rage contenue. Sonia avait le don de gratter là où ça faisait mal, et ce soir-là, elle avait une fois de plus prouvé qu’elle maîtrisait cet art à la perfection.
Le lendemain matin, alors qu’Alicia traversait la cour du lycée, une étrange tension flottait dans l’air. Elle remarqua les regards furtifs, les chuchotements entre les élèves, et même quelques sourires narquois qui semblaient se figer à son passage. Elle fronça les sourcils, mal à l’aise, mais tenta de se convaincre qu’elle imaginait les choses. Pourtant, cette sensation persistait, comme si un orage se préparait.
Alors qu’elle s’approchait du bâtiment principal, une voix familière, teintée de colère, retentit derrière elle.
« Alors comme ça, on en a bien profité, hein ?! »
Alicia se retourna brusquement et vit Nolan marcher à grands pas dans sa direction. Son visage était marqué par une expression de colère contenue, ses mâchoires serrées, ses poings crispés le long de son corps. Il s’arrêta devant elle, imposant et déterminé.
« Profité de quoi ? » demanda Alicia, ses sourcils arqués. Mais en voyant l’attitude de Nolan, elle comprit rapidement que les regards et les murmures qu’elle avait perçus étaient liés à ce qu’il allait lui révéler.
Nolan, visiblement irrité, haussa le ton. « Je savais que Vincent était à fond sur toi, mais de là à ce que vous vous rouliez des pelles pendant que j’ai le dos tourné… ! »
Alicia ouvrit de grands yeux, prise entre l’incrédulité et l’agacement. « Quoi ? Roulé des pelles ? » s’exclama-t-elle. « Mais d’où tu sors ça ?! »
« C’est pas le sujet ! » tonna Nolan, ses yeux lançant des éclairs. Il s’avança d’un pas, forçant Alicia à reculer légèrement. « Vincent et toi, dans ta chambre, sur ton lit, en train de vous galocher ! À moins que vous ayez été plus loin ?! »
Alicia, à la fois abasourdie et furieuse, lâcha un soupir exaspéré, ses bras tombant le long de son corps. « Sérieusement, Nolan ? » Elle planta son regard dans le sien, son ton oscillant entre colère et lassitude. « T’es au courant qu’on était juste en train de travailler un exposé sur l’ADN ? Et Kristen était là avec nous, au cas où tu l’aurais oublié ! »
Nolan ricana, mais son sourire était amer. « Kristen n’est pas restée avec vous jusqu’au bout, apparemment, » insista-t-il, croisant les bras sur son torse comme pour souligner son point.
Alicia sentit une bouffée de chaleur monter en elle, mais elle inspira profondément pour garder son calme. Elle savait parfaitement d’où venaient ces ragots, et elle n’avait aucun doute que sa sœur Sonia était derrière tout ça. Mais ce n’était pas le moment de rentrer dans un conflit familial en pleine cour du lycée.
« Oui, elle est partie, » répondit-elle en maintenant son regard, son ton ferme. « Et nous avons fini de travailler avec Vincent, c’est tout. Si ma sœur a une interprétation tordue de ce qu’on appelle du travail, alors je ne peux rien pour elle. Peut-être qu’elle devrait investir dans des lunettes ou juste être moins mytho ça suffirait. »
Nolan resta silencieux un instant, mais son regard ne s’adoucit pas. Alicia continua, ne lui laissant pas le temps de répondre.
« Et puis franchement, Nolan, » ajouta-t-elle, sa voix se faisant plus dure, « c’est pas toi qui m'évite depuis la rentrée ? Ça, par contre, c’est un sujet dont on pourrait parler, non ? »
Les mots frappèrent Nolan comme une gifle invisible. Il détourna les yeux un instant, ses épaules se tendant sous la pression. Mais au lieu de répondre, il serra les dents et secoua la tête.
« C’est pas la question, » murmura-t-il, mais son ton avait perdu de sa ferveur.
Alicia n’attendit pas qu’il trouve une autre excuse. Elle fit un pas en avant, réduisant la distance entre eux, et déclara avec une froideur maîtrisée :
« Si tu veux m’accuser de quelque chose, fais-le avec des faits, Nolan. Parce que là, tu te bases sur des rumeurs. Et franchement, je mérite mieux que ça. »
Elle tourna les talons, son cœur battant à tout rompre, et s’éloigna d’un pas décidé. Nolan resta immobile un moment, partagé entre la colère et son orgueil, comme toujours.
Les cours venaient de se terminer, et Vincent sentait une tension palpable entre lui et Alicia. Depuis le matin, la rumeur d’un prétendu roulage de galoche entre eux avait envahi les couloirs du lycée. Les regards insistants, les murmures à son passage… Tout cela pesait sur lui. Alors que Vincent ajustait son sac sur son épaule, un léger « ding » retentit depuis son téléphone. Il s’arrêta pour vérifier.
Alicia :
16h30 au café de l’impasse, c’est urgent stp.
Vincent fronça les sourcils. Le choix du lieu lui parut étrange. Pourquoi pas au Lemon, leur repaire habituel ? Si Alicia lui donnait rendez-vous ailleurs, c’était sûrement parce qu’elle voulait aborder quelque chose de sérieux, loin des oreilles curieuses.
Traversant les ruelles pavées du vieux quartier d’Azuri, Vincent avançait d’un pas rapide. L’atmosphère hivernale emplissait les rues d’un froid mordant, tandis que les rayons de soleil déclinant baignaient les bâtiments d’une lueur dorée. Il finit par arriver devant le café de l’impasse, une petite façade discrète que la plupart des habitants ignoraient. Avec ses vitres embuées et sa peinture écaillée, l’endroit ne payait pas de mine. Pourtant, il avait son charme désuet. En entrant, une cloche rouillée tinta faiblement.
L’intérieur était exigu, avec des murs lambrissés et des tables bancales. Les cuillères tordues semblaient presque caricaturales, et l’odeur du café — à la fois réconfortante et légèrement brûlée — emplissait l’air. Vincent aperçut Alicia, installée à une table près de la fenêtre, sa silhouette élégante se découpant dans la lumière tamisée. Elle jouait nerveusement avec la anse de sa tasse. Quand il s’approcha, elle lui offrit un demi-sourire qui semblait chargé de gêne.
« Salut, » lança-t-il doucement en s’installant face à elle.
« Salut, » répondit-elle, sa voix légèrement tremblante.
Ils commencèrent à parler en même temps :
« Je suis désolé pour… »
« Désolée pour… »
Ils échangèrent un sourire maladroit, une brève éclaircie dans cette tension qui pesait entre eux.
« Vas-y, commence, » l’encouragea Vincent.
Alicia hocha la tête, prenant une profonde inspiration. « Ce n’est vraiment pas cool que ma sœur ait diffusé cette rumeur à propos de nous. » Sa voix était teintée de frustration, mais aussi de tristesse.
Vincent haussa les épaules, essayant de masquer son propre agacement. « Ouais, j’avoue. Perso, je m’en fiche de ce que ta sœur peut dire. Ce qui m’embête, c’est par rapport à Nolan. Je voulais pas qu’il te prenne la tête. J’ai essayé de lui parler ce matin, mais… » Il baissa les yeux. « Il m’a envoyé balader. »
Alicia plissa légèrement les lèvres, visiblement partagée entre la colère et la lassitude. « Oui, je sais. On m’a dit qu’il t’avait plaqué contre un mur, mais je ne voulais pas adhérer à ce cercle de ragots. »
Vincent la regarda, surpris qu’elle soit au courant. « Ouais… Enfin, il m’a vraiment collé au mur. Je sais pas trop comment on est censé réagir en apprenant ce genre de truc, que ce soit vrai ou faux. »
« Il t’a fait mal ? » demanda Alicia, ses yeux scrutant les siens avec une sincère inquiétude.
Vincent sentit encore une légère douleur dans ses omoplates, mais il secoua la tête. « Non, ça va. Ce n’est pas grave. »
Alicia baissa les yeux, son regard perdu dans la surface ambrée de son café. Ses doigts jouaient nerveusement avec la cuillère, traçant des cercles invisibles sur le bord de la tasse. Elle inspira profondément avant de murmurer, presque pour elle-même :
« Je comprends pas pourquoi Sonia a inventé ça. Sérieusement, dans quel monde ça aurait pu arriver ? »
Sa voix, bien que calme, trahissait une pointe d’épuisement, comme si cette situation pesait bien plus lourdement sur elle qu’elle ne voulait le montrer. Elle releva brièvement les yeux pour chercher une réponse chez Vincent, mais il détourna le regard. Ce mouvement, furtif mais significatif, la fit s’arrêter. Vincent baissa légèrement la tête, comme s’il tentait de cacher quelque chose. Ce geste involontaire semblait révéler une vérité qu’il aurait voulu garder enfouie. Alicia fronça les sourcils, intriguée, mais resta silencieuse. Une tension palpable s’installa entre eux, lourde de non-dits.
Finalement, après un instant qui sembla durer une éternité, Alicia murmura, hésitante :
« Vin… Je… Ce n’est pas que je veux éviter de parler de ça ou quoi que ce soit. Mais… On est amis, hein ? »
Sa voix était douce, presque timide, mais chaque mot semblait peser une tonne. Ses yeux scrutaient le visage de Vincent, cherchant une assurance dans son regard.
Vincent releva lentement la tête. Il sembla chercher ses mots, comme s’il essayait de trouver la meilleure façon de répondre sans briser cet équilibre fragile.
« Alicia, » commença-t-il doucement, sa voix légèrement rauque, « je ne crois pas que ce soit important de définir ce qu’on est. Ce qui compte pour moi, c’est que ça aille bien pour toi. »
Ses mots, bien qu’honnêtes, étaient empreints d’une vulnérabilité désarmante. Alicia sentit son cœur se serrer. Elle fronça légèrement les sourcils, touchée par sa réponse mais troublée par son implication. Il y avait une intensité dans ses paroles qui ne pouvait être ignorée.
« Vincent, je… » Elle hésita, ses pensées se bousculant. « Je ne voudrais pas mal interpréter tout ça… »
Mais avant qu’elle ne puisse terminer sa phrase, Vincent, rassemblant tout son courage, lâcha dans un souffle :
« J’ai des sentiments pour toi. »
Le temps sembla s’arrêter. Alicia sentit un frisson glacé parcourir son échine, sa respiration se bloquant un instant. Ses yeux, d’abord écarquillés par la surprise, restèrent fixés sur Vincent. Elle semblait figée, incapable de réagir, comme si son esprit luttait pour assimiler ce qu’elle venait d’entendre.
Vincent, quant à lui, sentait ses paumes devenir moites. Il serra ses mains sur ses genoux pour cacher leur tremblement. Sa gorge était sèche, mais il savait qu’il ne pouvait pas s’arrêter maintenant. Si tout devait être dit, autant le faire jusqu’au bout.
« Ça dure depuis longtemps, » avoua-t-il finalement, sa voix à peine tremblante. « Et je n’ai jamais pu te le dire, parce que… je n’ai jamais osé. Et puis, il y a Nolan. Avec lui, c’est compliqué depuis toujours. Je voulais pas imposer ça, ni à toi, ni à lui. »
Il baissa les yeux, évitant son regard. Les mots qu’il venait de prononcer flottaient entre eux, lourds de sens et impossibles à reprendre.
Alicia détourna légèrement le regard, son visage trahissant un mélange d’émotions : surprise, culpabilité, et une pointe de tristesse. Ses lèvres tremblaient légèrement, mais aucun mot ne semblait vouloir en sortir.
Vincent, sentant le silence s’étirer de manière insoutenable, prit une grande inspiration et ajouta rapidement :
« Alors oui, il ne s’est rien passé entre nous. Mais je suis amoureux de toi, Alicia. Et ça, je ne peux pas le nier. »
Un silence pesant s’installa entre eux, enveloppant la petite table du café dans une bulle d’intensité presque insoutenable. Alicia, visiblement troublée, ajusta nerveusement la manche de son pull. Ses yeux brillaient légèrement sous les lumières tamisées, mais elle évitait le regard de Vincent, comme si croiser ses yeux rendaient la situation encore plus réelle.
Elle prit une profonde inspiration, cherchant les mots justes. Sa voix, douce mais tremblante, brisa enfin le silence.
« Vincent… Quand on s’est retrouvés en début d’année, j’étais vraiment contente. Et… soulagée. Me dire qu’on allait passer les meilleures années de lycée ensemble, c’était… réconfortant. »
Vincent esquissa un sourire timide, bien qu’un peu amer. Il l’écoutait attentivement, mais il sentait que chaque mot, chaque pause, le conduisait vers une vérité qu’il redoutait d’entendre. Alicia continua, ses doigts jouant nerveusement avec la cuillère posée devant elle.
« Je t’aime beaucoup, Vincent. Mais… comme un ami. Comme un meilleur ami. »
Elle releva timidement les yeux, guettant sa réaction. Son visage était marqué par une sincérité désarmante, mais aussi une pointe de culpabilité. Elle savait que ses paroles, bien qu’honnêtes, allaient inévitablement causer de la douleur.
Vincent sentit son cœur se serrer comme si une main invisible le broyait. Il inspira profondément, tentant de masquer l’amertume qui montait en lui. Après un instant d’hésitation, il hocha la tête, forçant un sourire qui ne parvint pas à atteindre ses yeux.
« Je… Je suis désolé, Al’. Je voulais pas te causer de tort. »
Sa voix était calme, mais chaque mot semblait chargé de poids. Alicia ouvrit la bouche pour répondre, mais Vincent, craignant que la conversation ne devienne encore plus difficile, enchaîna rapidement :
« Merci de t’être inquiétée pour moi. Et ne t’en fais pas pour Nolan ou ta sœur. Peu importe ce qu’ils disent, je démentirai. Il ne s’est rien passé. »
Il se leva brusquement, son mouvement soudain brisant l’atmosphère lourde qui les entourait. En attrapant sa veste, il évita soigneusement le regard d’Alicia, comme s’il ne voulait pas qu’elle voie la douleur qui s’était emparée de lui.
« On se voit en cours, » murmura-t-il d’un ton qui se voulait détaché, mais qui trahissait une certaine fragilité.
Alicia, décontenancée, regarda la porte du café se refermer doucement derrière Vincent, laissant échapper un tintement léger mais perçant qui semblait résonner au rythme de son cœur. Elle tendit instinctivement la main, comme pour le retenir, ses lèvres tremblantes formant un appel à peine audible.
« Vincent… » murmura-t-elle, sa voix empreinte d’une détresse contenue.
Elle hésita une fraction de seconde, puis se leva brusquement. Ses mouvements étaient nerveux, ses doigts agrippant maladroitement la lanière de son sac. Passant la porte, elle fut accueillie par l’air glacial de la rue pavée. Ses yeux cherchaient désespérément une silhouette familière, scrutant l’obscurité et les coins faiblement éclairés. Mais Vincent avait déjà disparu, avalé par la nuit.
Elle resta un moment immobile, son souffle formant de petites volutes blanches dans l’air froid. Une sensation d’inachevé pesait lourdement sur ses épaules. Elle n’avait pas eu le temps de dire ce qu’elle voulait. Pas de le retenir. Pas de lui offrir un mot de réconfort ou d’apaisement. Tout semblait lui échapper, comme le vent qui balayait doucement la rue déserte.
Vincent, quant à lui, avait disparut brusquement dans un éclair presque imperceptible, son corps se retrouvant soudainement projeté au cœur de la forêt Émeraude. La transition fut si brutale qu’il chancela en touchant le sol, ses mains s’appuyant contre un tronc d’arbre pour retrouver son équilibre.
Sa respiration était haletante, et son cœur battait à un rythme effréné, comme s’il était sur le point d’exploser. Mais avant qu’il ne puisse comprendre ce qui se passait, la téléportation recommença. Son corps fut de nouveau arraché à son emplacement pour réapparaître quelques mètres plus loin, puis encore ailleurs. L’action était chaotique, incontrôlée, presque instinctive, comme si son pouvoir réagissait à son agitation intérieure.
Il réapparut à côté d’un ruisseau gelé, puis près d’un vieux chêne noueux, puis encore à l’orée de la forêt. Chaque téléportation était accompagnée d’une décharge d’énergie qui semblait aspirer sa force vitale, l’épuisant davantage à chaque instant. Son esprit était une cacophonie de pensées discordantes.
Pourquoi ai-je dit ça ? Pourquoi maintenant ?
Les mots qu’il avait prononcés à Alicia tournaient en boucle dans sa tête, entrelacés avec son propre sentiment de rejet et d’impuissance. La douleur dans son cœur résonnait avec la douleur physique qu’il ressentait à chaque nouvelle téléportation.
Il serra les poings, fermant les yeux pour tenter de se calmer, mais son pouvoir continuait de s’emballer, le projetant encore et encore dans des recoins de la forêt. Il pouvait sentir la marque sur son torse pulser intensément, brûlant comme si elle réagissait à son état émotionnel, bien qu’elle ne soit plus là.
« Arrête… » murmura-t-il faiblement, sa voix se perdant dans le vide. Mais son corps, comme déconnecté de sa volonté, continuait à disparaître et réapparaître, prisonnier de ce pouvoir qu’il ne maîtrisait pas.
Après ce qui sembla une éternité, il réussit à concentrer son esprit, utilisant toute l’énergie qui lui restait pour se focaliser sur un seul point : rester dans la forêt Émeraude. Il ne pouvait pas risquer d’être téléporté dans toute la ville, de se retrouver devant Alicia ou, pire encore, devant quelqu’un d’autre qui pourrait découvrir son secret.
Il inspira profondément, cherchant à synchroniser son souffle avec les battements frénétiques de son cœur. Petit à petit, le rythme effréné de ses téléportations diminua. Il s’appuya contre un arbre massif, son front collé à l’écorce froide et rugueuse, et se força à vider son esprit.
Enfin, après plus d’une heure d’efforts, son corps cessa de vibrer, et la sensation d’instabilité disparut. Vincent s’effondra au pied de l’arbre, ses jambes pliées sous lui. Il était épuisé, vidé de toute énergie. Son souffle était rauque, et ses mains tremblaient encore légèrement.
Autour de lui, la forêt était plongée dans un calme presque surnaturel. Les arbres semblaient l’observer en silence, leurs branches se balançant doucement sous le vent nocturne. L’éclat pâle de la lune perçait à travers les feuillages, projetant des motifs entrelacés sur le sol couvert de mousse.
Vincent leva les yeux, observant la voûte étoilée au-dessus de lui. Une larme solitaire glissa sur sa joue, qu’il essuya rapidement avec la manche de sa veste. Il se sentait à la fois perdu et insignifiant, comme un fragment d’un puzzle dont il ne comprenait ni l’image ni l’objectif.
Pourtant, il savait qu’il ne pouvait pas rester là indéfiniment. Il devait rentrer, affronter les regards, les rumeurs, et peut-être même Alicia. Mais pour l’instant, il se contenta de fermer les yeux, laissant la fraîcheur de la forêt apaiser son esprit troublé.
Dans sa chambre, Kristen sourit fièrement en contemplant son œuvre : une compilation soigneusement assemblée des meilleurs titres téléchargés sur le net ces dernières semaines. Les heures passées à traquer les morceaux les plus entraînants avaient porté leurs fruits, et elle était prête à en profiter. Elle ajusta le volume des enceintes de son ordinateur. La pièce fut aussitôt envahie par la voix suave de Matteo Calveraz, son chanteur préféré.
« Si elle s’impose, je succombe, elle me regarde et me fait fondre ! » chantonna Kristen en se levant d’un bond. Elle attrapa son téléphone, le tenant comme un micro imaginaire, et commença à se déhancher devant son miroir.
Elle secoua ses cheveux châtains clairs, qui cascadaient sur ses épaules, et ferma les yeux, emportée par la musique. Son pied tapait en rythme sur le parquet de sa chambre tandis qu’elle se laissait submerger par l’énergie de la chanson. « Oh, Matteo, si seulement tu savais que je te chante tous les jours ! » murmura-t-elle pour elle-même en éclatant de rire.
Son téléphone vibra soudain dans sa main, interrompant son show improvisé. Elle jeta un coup d’œil à l’écran. C’était un message de Vincent.
Vincent : Désolé, je suis KO.
Kristen roula des yeux en grognant. « KO, vraiment ? » marmonna-t-elle, déçue. « Même pas une explication ? Tu fais quoi, Vin ? Tu hibernes ou quoi ? »
Elle laissa échapper un soupir, mais rapidement, l’énergie de la chanson la reprit. Elle haussa les épaules, décidée à ne pas se laisser envahir par la mauvaise humeur. « Tant pis pour toi, Vincent ! Matteo et moi, on s’amuse très bien sans toi. »
Elle reprit son spectacle devant le miroir, son téléphone toujours en main. Son reflet lui renvoya l’image d’une adolescente pleine de vie, ses joues légèrement rosées par l’effort et son sourire éclatant illuminant son visage. Kristen aimait ces moments où elle pouvait se perdre dans la musique et oublier les tracas du quotidien.
Mais alors qu’elle tournoyait en rythme, quelque chose attira son attention. Ses mouvements ralentirent, et son sourire s’effaça légèrement. Son regard se fixa sur la fenêtre.
Elle posa son téléphone sur la table et se dirigea doucement vers les rideaux, les sourcils légèrement froncés. Une sensation étrange s’insinua en elle. Elle écarta les rideaux et plissa les yeux pour mieux voir à travers la vitre. La pénombre de la rue était faiblement éclairée par les lampadaires, mais ce qu’elle venait de remarquer était suffisamment inhabituel pour captiver son attention.
Dans la maison d’en face, celle de Nolan Eridet, une silhouette familière venait de pénétrer à l’intérieur. Kristen resta figée quelques instants, s’assurant qu’elle ne rêvait pas. La lumière dans l’entrée de la maison s’éteignit rapidement, mais elle avait eu le temps de voir suffisamment pour être troublée.
C’était Madame Julien.
Sa professeure de biologie, habituellement si professionnelle et dynamique en classe, venait d’entrer chez Nolan à une heure où aucune réunion scolaire n’aurait pu être justifiée. Kristen fronça les sourcils, l’esprit en ébullition.
« Qu’est-ce qu’elle fiche là ? » murmura-t-elle pour elle-même.
Elle resta plantée devant sa fenêtre, observant la maison d’en face comme si elle espérait obtenir des réponses en fixant la façade sombre. Son esprit était déjà en train d’élaborer des hypothèses, chacune plus intrigante que la précédente. Nolan était connu pour son charisme et ses prouesses scolaires. Mais avait-il réellement besoin de cours de soutien en biologie ?
Kristen recula lentement de la fenêtre, croisant les bras sur sa poitrine. Elle était curieuse par nature, mais cette scène éveillait en elle une méfiance qu’elle ne pouvait ignorer. Son instinct lui soufflait qu’il y avait quelque chose d’étrange à creuser.
« Je vais tirer ça au clair, » se dit-elle en secouant la tête, déterminée.
Mais pour l’instant, elle n’avait que des suppositions. Elle se rassit sur son lit, éteignant la musique. Matteo Calveraz n’allait pas pouvoir l’aider sur ce coup-là.